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LE VENTRE DE PARIS.

Puis, elle resta là un instant à causer de la vente qui n’allait pas. Les marchands forains, sur le carreau de la rue couverte, leur faisaient beaucoup de tort. Son bras nu, qu’elle n’avait pas essuyé, ruisselait, frais de la fraîcheur de l’eau. De chaque doigt, de grosses gouttes tombaient.

— Ah ! dit-elle brusquement, il faut que je vous fasse voir aussi mes carpes.

Elle ouvrit une troisième grille ; et, à deux mains, elle ramena une carpe qui tapait de la queue en râlant. Mais elle en chercha une moins grosse ; celle-là, elle put la tenir d’une seule main, que le souffle des flancs ouvrait un peu, à chaque râle. Elle imagina d’introduire son pouce dans un des bâillements de la bouche.

— Ça ne mord pas, murmurait-elle avec son doux rire, ça n’est pas méchant… C’est comme les écrevisses, moi je ne les crains pas.

Elle avait déjà replongé son bras, elle ramenait, d’une case, pleine d’un grouillement confus, une écrevisse, qui lui avait pris le petit doigt entre ses pinces. Elle la secoua un instant ; mais l’écrevisse la serra sans doute trop rudement, car elle devint très-rouge et lui cassa la patte, d’un geste prompt de rage, sans cesser de sourire.

— Par exemple, dit-elle pour cacher son émotion, je ne me fierais pas à un brochet. Il me couperait les doigts comme avec un couteau.

Et elle montrait, sur des planches lessivées, d’une propreté excessive, de grands brochets étalés par rang de taille, à côté de tanches bronzées et de lots de goujons en petits tas. Maintenant, elle avait les mains toutes grasses du suint des carpes ; elle les écartait, debout dans l’humidité des viviers, au-dessus des poissons mouillés de l’étalage. On l’eût dite enveloppée d’une odeur de frai, d’une de ces odeurs épaisses qui montent des joncs et des nénuphars vaseux, quand les œufs font éclater les ventres des poissons, pâmés