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LE VENTRE DE PARIS.

retirer, lorsque l’enfant, encore tout éploré, murmura à l’oreille de sa mère :

— Ils vont prendre mes cahiers… Ne leur donne pas mes cahiers…

— Ah ! c’est vrai, s’écria la Normande, il y a les cahiers… Attendez, messieurs, je vais vous remettre ça. Je veux vous montrer que je m’en moque… Tenez, vous trouverez de son écriture, là-dedans. On peut bien le pendre, ce n’est pas moi qui irai le décrocher.

Elle donna les cahiers de Muche et les modèles d’écriture. Mais le petit, furieux, se leva de nouveau, mordant et égratignant sa mère, qui le recoucha d’une calotte. Alors, il se mit à hurler. Sur le seuil de la chambre, dans le vacarme, mademoiselle Saget allongeait le cou ; elle était entrée, trouvant toutes les portes ouvertes, offrant ses services à la mère Méhudin. Elle regardait, elle écoutait, en plaignant beaucoup ces pauvres dames, qui n’avaient personne pour les défendre. Cependant, le commissaire lisait les modèles d’écriture, d’un air sérieux. Les « tyranniquement, » les « liberticide, » les « anticonstitutionnel, » les « révolutionnaire, » lui faisaient froncer les sourcils. Lorsqu’il lut la phrase : « Quand l’heure sonnera, le coupable tombera,» il donna de petites tapes sur les papiers, en disant :

— C’est très-grave, très-grave.

Il remit le paquet à un de ses agents, il s’en alla. Claire, qui n’avait pas encore paru, ouvrit sa porte, regardant ces hommes descendre. Puis, elle vint dans la chambre de sa sœur, où elle n’était pas entrée depuis un an. Mademoiselle Saget paraissait au mieux avec la Normande ; elle s’attendrissait sur elle, ramenait les bouts du châle pour la mieux couvrir, recevait avec des mines apitoyées les premiers aveux de sa colère.

— Tu es bien lâche, dit Claire en se plantant devant sa sœur.