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LES ROUGON-MACQUART.

serait mieux, les mansardes étaient très-froides, l’hiver. Enfin, il s’en alla, laissant Florent seul avec le lit et en face de la photographie. Auguste était un Quenu blême ; Augustine, une Lisa pas mûre.

Florent, ami des garçons, gâté par son frère, accepté par Lisa, finit par s’ennuyer terriblement. Il avait cherché des leçons sans pouvoir en trouver. Il évitait, d’ailleurs, d’aller dans le quartier des Écoles, où il craignait d’être reconnu. Lisa, doucement, lui disait qu’il ferait bien de s’adresser aux maisons de commerce ; il pouvait faire la correspondance, tenir les écritures. Elle revenait toujours à cette idée, et finit par s’offrir pour lui trouver une place. Elle s’irritait peu à peu de le rencontrer sans cesse dans ses jambes, oisif, ne sachant que faire de son corps. D’abord, ce ne fut qu’une haine raisonnée des gens qui se croisent les bras et qui mangent, sans qu’elle songeât encore à lui reprocher de manger chez elle. Elle lui disait :

— Moi, je ne pourrais pas vivre à rêvasser toute la journée. Vous ne devez pas avoir faim, le soir… Il faut vous fatiguer, voyez-vous.

Gavard, de son côté, cherchait une place pour Florent. Mais il cherchait d’une façon extraordinaire et tout à fait souterraine. Il aurait voulu trouver quelque emploi dramatique ou simplement d’une ironie amère, qui convînt à « un proscrit. » Gavard était un homme d’opposition. Il venait de dépasser la cinquantaine, et se vantait d’avoir déjà dit leur fait à quatre gouvernements. Charles X, les prêtres, les nobles, toute cette racaille qu’il avait flanquée à la porte, lui faisaient encore hausser les épaules ; Louis-Philippe était un imbécile, avec ses bourgeois, et il racontait l’histoire des bas de laine, dans lesquels le roi citoyen cachait ses gros sous ; quant à la république de 48, c’était une farce, les ouvriers l’avaient trompé ; mais il n’avouait plus qu’il avait applaudi au Deux-Décembre, parce que, maintenant, il re-