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LE VENTRE DE PARIS.

d’une grande maison, dont un café borgne occupait le rez-de-chaussée. L’ingratitude de la Sarriette acheva d’aigrir madame Lecœur, qui la traitait avec une furie de paroles ordurières. Elles se fâchèrent, la tante exaspérée, la nièce inventant avec monsieur Jules des histoires qu’il allait raconter dans le pavillon aux beurres. Gavard trouvait la Sarriette drôle ; il se montrait plein d’indulgence pour elle, il lui tapait sur les joues, quand il la rencontrait : elle était dodue et exquise de chair.

Une après-midi, comme Florent était assis dans la charcuterie, fatigué de courses vaines qu’il avait faites le matin à la recherche d’un emploi, Marjolin entra. Ce grand garçon, d’une épaisseur et d’une douceur flamandes, était le protégé de Lisa. Elle le disait pas méchant, un peu bêta, d’une force de cheval, tout à fait intéressant, d’ailleurs, puisqu’on ne lui connaissait ni père, ni mère. C’était elle qui l’avait placé chez Gavard.

Lisa était au comptoir, agacée par les souliers crottés de Florent, qui tachaient le dallage blanc et rose ; deux fois déjà elle s’était levée pour jeter de la sciure dans la boutique. Elle sourit à Marjolin.

— Monsieur Gavard, dit le jeune homme, m’envoie pour vous demander…

Il s’arrêta, regarda autour de lui, et baissant la voix :

— Il m’a bien recommandé d’attendre qu’il n’y eût personne et de vous répéter ces paroles, qu’il m’a fait apprendre par cœur : « Demande-leur s’il n’y a aucun danger, et si je puis aller causer avec eux de ce qu’ils savent. »

— Dis à monsieur Gavard que nous l’attendons, répondit Lisa, habituée aux allures mystérieuses du marchand de volailles.

Mais Marjolin ne s’en alla pas ; il restait en extase devant la belle charcutière, d’un air de soumission câline. Comme touchée de cette adoration muette, elle reprit :