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LES ROUGON-MACQUART.

donnez-moi une livre de saindoux… Moi, j’adore les pommes de terre frites, je fais un déjeuner avec deux sous de pommes de terre frites et une botte de radis… Oui, une livre de saindoux, madame Quenu.

La charcutière avait mis une feuille de papier fort sur une balance. Elle prenait le saindoux dans le pot, sous l’étagère, avec une spatule de buis, augmentant à petits coups, d’une main douce, le tas de graisse qui s’étalait un peu. Quand la balance tomba, elle enleva le papier, le plia, le corna vivement, du bout des doigts.

— C’est vingt-quatre sous, dit-elle, et six sous de bardes, ça fait trente sous… Il ne vous faut rien autre chose ?

La Sarriette dit que non. Elle paya, riant toujours, montrant ses dents, regardant les hommes en face, avec sa jupe grise qui avait tourné, son fichu rouge mal attaché, qui laissait voir une ligne blanche de sa gorge, au milieu. Avant de sortir, elle alla menacer Gavard en répétant :

— Alors vous ne voulez pas me dire ce que vous racontiez quand je suis entrée ? Je vous ai vu rire, du milieu de la rue… Oh ! le sournois. Tenez, je ne vous aime plus.

Elle quitta la boutique, elle traversa la rue en courant. La belle Lisa dit sèchement :

— C’est mademoiselle Saget qui nous l’a envoyée.

Puis le silence continua. Gavard était consterné de l’accueil que Florent faisait à sa proposition. Ce fut la charcutière qui reprit la première, d’une voix très-amicale :

— Vous avez tort, Florent, de refuser cette place d’inspecteur à la marée… Vous savez combien les emplois sont pénibles à trouver. Vous êtes dans une position à ne pas vous montrer difficile.

— J’ai dit mes raisons, répondit-il.

Elle haussa les épaules.

— Voyons, ce n’est pas sérieux… Je comprends à la rigueur que vous n’aimiez pas le gouvernement. Mais ça n’em-