Aller au contenu

Page:Emile Zola - Pot-Bouille.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
31
POT-BOUILLE

— Comment ! vous avez faim ! cria madame Josserand, outrée. Vous n’avez donc pas mangé de la brioche, là-bas ? En voilà des dindes ! Mais on mange !… Moi, j’ai mangé.

Ces demoiselles résistèrent. Elles avaient faim, elles en étaient malades. Et la mère finit par les accompagner à la cuisine, pour voir s’il ne restait pas quelque chose. Aussitôt, furtivement, le père se remit à ses bandes. Il savait bien que, sans ses bandes, le luxe du ménage aurait disparu ; et c’était pourquoi, malgré les dédains et les querelles injustes, il s’entêtait jusqu’au jour dans ce travail secret, heureux comme un brave homme lorsqu’il s’imaginait qu’un bout de dentelle en plus déciderait d’un riche mariage. Puisqu’on rognait déjà sur la nourriture, sans pouvoir suffire aux toilettes et aux réceptions du mardi, il se résignait à sa besogne de martyr, vêtu de loques, pendant que la mère et les filles battaient les salons, avec des fleurs dans les cheveux.

— Mais c’est une infection, ici ! cria madame Josserand en entrant dans la cuisine. Dire que je ne puis pas obtenir de ce torchon d’Adèle qu’elle laisse la fenêtre entr’ouverte ! Elle prétend que, le matin, la pièce est gelée.

Elle était allée ouvrir la fenêtre, et de l’étroite cour de service montait une humidité glaciale, une odeur fade de cave moisie. La bougie que Berthe avait allumée, faisait danser sur le mur d’en face des ombres colossales d’épaules nues.

— Et comme c’est tenu ! continuait madame Josserand, flairant partout, mettant son nez dans les endroits malpropres. Elle n’a pas lavé sa table depuis quinze jours… Voilà des assiettes d’avant-hier. Ma parole, c’est dégoûtant !… Et son évier, tenez ! sentez-moi un peu son évier !