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LES ROUGON-MACQUART

Octave dut se lever et se tint debout près du piano. À voir les prévenances caressantes dont madame Josserand l’entourait, il semblait qu’elle fit jouer Berthe uniquement pour lui.

Les Bords de l’Oise, reprit-elle. C’est vraiment joli… Allons, va, mon amour, et ne te trouble pas. Monsieur sera indulgent.

La jeune fille attaqua le morceau, sans trouble aucun. D’ailleurs, sa mère ne la quittait plus des yeux, de l’air d’un sergent prêt à punir d’une gifle une faute de théorie. Son désespoir était que l’instrument, essoufflé par quinze années de gammes quotidiennes, n’eût pas les sonorités du grand piano à queue des Duveyrier ; et jamais sa fille, selon elle, ne jouait assez fort.

Dès la dixième mesure, Octave, l’air recueilli et hochant le menton aux traits de bravoure, n’écouta plus. Il regardait l’auditoire, l’attention poliment distraite des hommes et le ravissement affecté des femmes, toute cette détente de gens rendus à eux-mêmes, repris par les soucis de chaque heure, dont l’ombre remontait à leurs visages fatigués. Des mères faisaient visiblement le rêve quelles mariaient leurs filles, la bouche fendue, les dents féroces, dans un abandon inconscient ; c’était la rage de ce salon, un furieux appétit de gendres, qui dévorait ces bourgeoises, aux sons asthmatiques du piano. Les filles, très lasses, s’endormaient, la tête entre les épaules, oubliant de se tenir droites. Octave, qui avait le mépris des jeunes personnes, s’intéressa davantage à Valérie ; elle était laide, décidément, dans son étrange robe de soie jaune, garnie de satin noir, et il revenait toujours à elle, inquiet, séduit quand même ; tandis que, les yeux vagues, énervée par l’aigre musique, elle avait le sourire détraqué d’une malade.

Mais une catastrophe se produisit. Le timbre s’était