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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

certaine de vaincre. Depuis quelque temps, elle s’offrait à Rougon, tranquillement. Elle ne prenait plus la peine de dissimuler sa lente séduction, ce travail savant dont elle l’avait entouré, avant de faire le siége de ses désirs. Maintenant, elle le croyait assez conquis pour mener l’aventure à visage découvert. Un véritable duel s’engageait entre eux, à toute heure. S’ils ne posaient pas encore tout haut les conditions du combat, il y avait des aveux très-francs sur leurs lèvres, dans leurs yeux. Quand ils se regardaient, ils ne pouvaient s’empêcher de sourire ; et ils se provoquaient. Clorinde faisait son prix, allait à son but, avec une hardiesse superbe, sûre de n’accorder jamais que ce qu’elle voudrait. Rougon, grisé, piqué au jeu, mettait de côté tout scrupule, rêvait simplement de faire sa maîtresse de cette belle fille, puis de l’abandonner, pour lui prouver sa supériorité sur elle. Leur orgueil se battait plus encore que leurs sens.

— Chez nous, continuait-elle à voix presque basse, l’amour est la grande affaire. Les gamines de douze ans ont des amoureux… Moi, je suis devenue un garçon, parce que j’ai voyagé. Mais si vous aviez connu maman, quand elle était jeune ! Elle ne quittait pas sa chambre. Elle était si belle, qu’on venait la voir de loin. Un comte est resté exprès six mois à Milan, sans arriver à apercevoir le bout de ses nattes. C’est que les Italiennes ne sont pas comme les Françaises, qui bavardent et qui courent ; elles restent au cou de l’homme qu’elles ont choisi… Moi, j’ai voyagé, je ne sais pas si je me souviendrai. Il me semble pourtant que j’aimerai bien fort, oh ! oui, bien fort, à en mourir…

Ses paupières s’étaient fermées peu à peu, sa face se noyait d’une extase voluptueuse. Rougon, pendant qu’elle parlait, avait quitté son bureau, les mains trem-