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LES ROUGON-MACQUART.

à droite comme à gauche, les membres se souriaient ; ils avaient un air de famille, des visages également pénétrés du devoir qu’ils venaient remplir là. Un gros homme, sur le dernier banc, à gauche, qui s’était assoupi trop profondément, fut réveillé par son voisin ; et, quand celui-ci lui eut dit quelques mots à l’oreille, il se hâta de se frotter les yeux, il prit une pose convenable. La séance, après s’être traînée dans des questions d’affaires fort ennuyeuses pour ces messieurs, allait prendre un intérêt capital.

Poussés par la foule, M. Kahn et ses deux collègues montèrent jusqu’à leurs bancs, sans en avoir conscience. Ils continuaient à causer, en étouffant des rires. M. La Rouquette racontait une nouvelle histoire sur la belle Clorinde. Elle avait eu, un jour, l’étonnante fantaisie de faire tendre sa chambre de draperies noires semées de larmes d’argent, et de recevoir là ses intimes, couchée sur son lit, ensevelie dans des couvertures, également noires, qui ne laissaient passer que le bout de son nez.

M. Kahn s’asseyait, lorsqu’il revint brusquement à lui.

— Ce La Rouquette est idiot avec ses commérages ! murmura-t-il. Voilà que j’ai manqué Rougon, maintenant !

Et, se tournant vers son voisin, d’un air furieux :

— Dites donc, Béjuin, vous auriez bien pu m’avertir !

Rougon, qui venait d’être introduit avec le cérémonial d’usage, était déjà assis entre deux conseillers d’État, au banc des commissaires du gouvernement, une sorte de caisse d’acajou énorme, installée au bas du bureau, à la place même de la tribune supprimée. Il crevait de ses larges épaules son uniforme de drap vert, chargé d’or au collet et aux manches. La face