Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/168

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
168
LES ROUGON-MACQUART.

— Marsy a très-bien conduit les élections. Vous avez tort de blâmer ses circulaires. La dernière surtout était d’une jolie force… Quant à la presse, elle est déjà trop libre. Où en serions-nous, si le premier venu pouvait écrire ce qu’il pense ? Moi, d’ailleurs, j’aurais comme Marsy refusé à Kahn l’autorisation de fonder un journal. Il est toujours inutile de fournir une arme à ses adversaires… Voyez-vous, les empires qui s’attendrissent sont des empires perdus. La France demande une main de fer. Quand on l’étrangle un peu, cela n’en va pas plus mal.

Delestang voulut protester. Il commença une phrase :

— Cependant, il y a une certaine somme de libertés nécessaires…

Mais Clorinde lui imposa silence. Elle approuvait tout ce que disait Rougon, d’un hochement de tête exagéré. Elle se penchait pour qu’il la vît mieux, soumise devant lui, convaincue. Aussi fut-ce à elle qu’il adressa un coup d’œil, en s’écriant :

— Ah ! oui, les libertés nécessaires, je m’attendais à les voir arriver !… Écoutez, si l’empereur me consultait, il n’accorderait jamais une liberté.

Et comme Delestang de nouveau s’agitait, sa femme le fit tenir tranquille d’un froncement terrible de ses beaux sourcils.

— Jamais ! répéta Rougon avec force.

Il s’était soulevé de son fauteuil, d’un air si formidable, que personne ne souffla mot. Mais il se laissa retomber, les membres mous, comme détendu, murmurant :

— Voilà que vous me faites crier, moi aussi… Je suis un bon bourgeois, maintenant. Je n’ai pas à me mêler de tout ça, et j’en suis ravi. Dieu veuille que l’empereur n’ait plus besoin de moi !

À ce moment, la porte du salon s’ouvrait. Il mit un doigt sur sa bouche, il souffla très-bas :