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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

colonel, les Bouchard, les Charbonnel, se répandirent également en doléances. Ça ne pouvait pas finir ainsi. Rougon, véritablement, n’était pas raisonnable. On lui parlerait.

Cependant, quinze jours s’écoulèrent. Clorinde, très-écoutée de toute la bande, avait décidé qu’il serait mauvais d’attaquer le grand homme en face. On attendait une occasion. Un dimanche soir, vers le milieu d’octobre, comme les amis se trouvaient réunis au complet dans le salon de la rue Marbeuf, Rougon dit en souriant :

— Vous ne savez pas ce que j’ai reçu aujourd’hui ?

Et il prit derrière la pendule une carte rose, qu’il montra.

— Une invitation à Compiègne.

À ce moment, le valet de chambre ouvrit discrètement la porte. L’homme que monsieur attendait était là. Rougon s’excusa et sortit. Clorinde s’était levée, écoutant. Puis, dans le silence, elle dit avec énergie :

— Il faut qu’il aille à Compiègne !

Les amis, prudemment, regardèrent autour d’eux ; mais ils étaient bien seuls, madame Rougon avait disparu depuis quelques minutes. Alors, à demi-voix, tout en guettant les portes, ils parlèrent librement. Les dames faisaient un cercle devant la cheminée, où un gros tison se consumait en braise ; M. Bouchard et le colonel jouaient leur éternel piquet : tandis que les hommes avaient roulé leurs fauteuils, dans un coin, pour s’isoler. Clorinde, debout au milieu de la pièce, la tête penchée, réfléchissait profondément.

— Il attendait donc quelqu’un ? demanda Du Poizat. Qui ça peut-il être ?

Les autres haussèrent les épaules, voulant dire qu’ils ne savaient pas.