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LES ROUGON-MACQUART.

ment jalouse, gardait ces lettres, qu’elle tenait suspendues sur la tête de M. de Marsy, comme une vengeance toujours prête.

— Elle s’est laissé convaincre, quand il a dû épouser une princesse valaque, dit le sénateur en terminant. Mais, après avoir consenti à un mois de lune de miel, elle lui a signifié que, s’il ne revenait se mettre à ses pieds, elle déposerait un beau matin les trois terribles lettres sur le bureau de l’empereur ; et il a repris sa chaîne… Il la comble de douceurs pour se faire rendre cette maudite correspondance.

Clorinde riait beaucoup. L’histoire lui paraissait très-drôle. Et elle multiplia ses questions. Alors, si le comte trompait madame de Llorentz, celle-ci était capable d’exécuter sa menace ? Ces trois lettres, où les tenait-elle ? dans son corsage, cousues entre deux rubans de satin, à ce qu’elle avait entendu dire. Mais M. de Plouguern n’en savait pas davantage. Personne n’avait lu les lettres. Il connaissait un jeune homme qui, pour en prendre une copie, s’était fait inutilement, pendant près de six mois, l’humble esclave de madame de Llorentz.

— Diable ! ajouta-t-il, il ne te quitte pas des yeux, petite. Eh ! j’oubliais, en effet : tu as fait sa conquête !… Est-il vrai qu’à sa dernière soirée, au ministère, il ait causé avec toi près d’une heure ?

La jeune femme ne répondit pas. Elle n’écoutait plus, elle restait immobile et superbe, sous le regard fixe de M. de Marsy. Puis, levant lentement la tête, le regardant à son tour, elle attendit son salut. Il s’approcha d’elle, s’inclina. Et elle lui sourit alors, très-doucement. Ils n’échangèrent pas un mot. Le comte retourna au milieu du groupe, où M. La Rouquette parlait très haut, en le nommant à chaque phrase « Son Excellence ».

Peu à peu, pourtant, la galerie s’était remplie. Il y