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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Sa Majesté s’enfermait pendant des heures, par goût ; et l’ombre grêle ayant passé de nouveau, il supposa qu’elle pouvait bien être une ombre de femme. Tout disparut, la fenêtre reprit son éclat tranquille, la fixité de son regard de flamme, perdu dans les profondeurs mystérieuses du parc. Peut-être, maintenant, l’empereur songeait-il au défrichement d’un coin des Landes, à la fondation d’une ville ouvrière, où l’extinction du paupérisme serait tentée en grand. Souvent, il se décidait la nuit. C’était la nuit qu’il signait des décrets, écrivait des manifestes, destituait des ministres. Cependant, peu à peu, Rougon souriait ; il se rappelait invinciblement une anecdote, l’empereur en tablier bleu, coiffé d’un bonnet de police fait d’un morceau de journal, collant du papier à trois francs le rouleau dans une pièce de Trianon, pour y loger une maîtresse ; et il se l’imaginait, à cette heure, dans la solitude de son cabinet, au milieu du solennel silence, découpant des images qu’il collait à l’aide d’un petit pinceau, très-proprement.

Alors, Rougon, levant les bras, se surprit à dire tout haut :

— Sa bande l’a fait, lui !

Il se hâta de rentrer. Le froid le prenait, surtout aux jambes, que sa culotte découvrait jusqu’aux genoux.

Le lendemain, vers neuf heures, Clorinde lui envoya Antonia qu’elle avait amenée, pour demander s’ils pouvaient, son mari et elle, venir déjeuner chez lui. Il s’était fait monter une tasse de chocolat. Il les attendit. Antonia les précéda, apportant le large plateau d’argent sur lequel on leur avait servi, dans leur chambre, deux tasses de café.

— Hein ? ce sera plus gai, dit Clorinde en entrant. Vous avez le soleil, de ce côté-ci… Oh ! vous êtes beaucoup mieux que nous !