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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

naient de la voix, hurlaient, le cou tendu, dressés à demi sur leurs pattes de derrière, dans un élan d’effroyable vacarme. Tout d’un coup, au moment où un valet montrait la tête du cerf à la meute affolée, Firmin, le maître d’équipage, placé sur le perron, abaissa son fouet ; et la meute, qui attendait ce signal, traversa la cour en trois bonds, les flancs haletant d’une rage d’appétit. Mais Firmin avait relevé son fouet. Les chiens, arrêtés à quelque distance du cerf, s’aplatirent un instant sur le pavé, l’échine secouée de frissons, la gueule cassée d’aboiements de désir. Et ils durent reculer, ils retournèrent se ranger à l’autre bout, près de la grille.

— Oh ! les pauvres bêtes ! dit madame de Combelot, d’un air de compassion langoureuse.

— Superbe ! cria M. La Rouquette.

Le chevalier Rusconi applaudissait. Des dames se penchaient, très-excitées, avec de petits battements aux coins des lèvres, le cœur tout gonflé du besoin de voir les chiens manger. On ne leur donnait pas leurs os tout de suite ; c’était très-émotionnant.

— Non, non, pas encore, murmuraient des voix grasses.

Cependant, Firmin, à deux reprises, avait levé et baissé son fouet. La meute écumait, exaspérée. À la troisième fois, le maître d’équipage ne releva pas le fouet. Le valet s’était sauvé, en emportant la peau et la tête du cerf. Les chiens se ruèrent, se vautrèrent sur les débris ; leurs abois furieux s’apaisaient dans un grognement sourd, un tremblement convulsif de jouissance. Des os craquaient. Alors, sur le balcon, aux fenêtres, ce fut une satisfaction ; les dames avaient des sourires aigus, en serrant leurs dents blanches ; les hommes soufflaient, les yeux vifs, les doigts occupés à tordre quelque cure-dent apporté de la salle à manger. Dans la cour, il y eut