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LES ROUGON-MACQUART.

M. Beulin-d’Orchère avait l’intrigue lourde ; il évoqua contre M. de Marsy une affaire scandaleuse, qu’on se hâta d’étouffer. Il se montrait plus adroit, en laissant dire qu’il pourrait bien être garde des sceaux un jour, si son beau-frère remontait au pouvoir ; ce qui mettait à sa dévotion les magistrats ses collègues. M. Kahn menait également une troupe à l’attaque, des financiers, des députés, des fonctionnaires, grossissant les rangs de tous les mécontents rencontrés en chemin ; il s’était fait un lieutenant docile de M. Béjuin ; il employait même M. de Combelot et M. La Rouquette, sans que ceux-ci se doutassent le moins du monde des travaux auxquels il les poussait. Lui, agissait dans le monde officiel, très-haut, étendant sa propagande jusqu’aux Tuileries, travaillant souterrainement pendant plusieurs jours, pour qu’un mot, de bouche en bouche, fût enfin répété à l’empereur.

Mais ce furent surtout les femmes qui s’employèrent avec passion. Il y eut là des dessous terribles, une complication d’aventures dont on ignora toujours au juste la portée. Madame Correur n’appelait plus la jolie madame Bouchard que « ma petite chatte ». Elle l’emmenait à la campagne, disait-elle ; et, pendant une semaine, M. Bouchard vivait en garçon, M. d’Escorailles lui-même était réduit à passer ses soirées dans les petits théâtres. Un jour, Du Poizat avait rencontré ces dames avec des messieurs décorés ; ce dont il s’était bien gardé de parler. Madame Correur habitait maintenant deux appartements, l’un rue Blanche, l’autre rue Mazarine ; ce dernier était très coquet ; madame Bouchard y venait l’après-midi, prenait la clef chez le concierge. On racontait aussi la conquête d’un grand fonctionnaire, faite par la jeune femme un matin de pluie, comme elle traversait le Pont-Royal, en retroussant ses jupons.

Puis, le fretin des amis s’agitait, s’utilisait le plus