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LES ROUGON-MACQUART.

secret des moindres infidélités. Même, au fond de son cœur, il était attendri par leur sottise, il aimait leurs vices. Ils semblaient à présent faire partie de son être, ou plutôt c’était lui qui se trouvait lentement absorbé ; à ce point, qu’il restait comme diminué, les jours où ils s’écartaient de sa personne. Aussi finit-il par leur écrire, lorsque leur absence se prolongeait. Il allait jusqu’à les voir chez eux, pour faire la paix, après les bouderies sérieuses. Maintenant, on vivait en continuelle querelle, rue Marbeuf avec cette fièvre de ruptures et de raccommodements des ménages dont l’amour s’aigrit.

Dans les derniers jours de décembre, il y eut une débandade particulièrement grave. Un soir, sans qu’on sût pourquoi, les mots amenant les mots, on s’était dévoré entre soi, à dents aiguës. Pendant près de trois semaines, on ne se revit pas. La vérité était que la bande commençait à désespérer. Les efforts les plus savants n’aboutissaient à aucun résultat appréciable. La situation ne semblait pas devoir changer de longtemps, la bande abandonnait le rêve de quelque catastrophe imprévue qui aurait rendu Rougon nécessaire. Elle avait attendu l’ouverture de la session du Corps législatif ; mais la vérification des pouvoirs s’était faite sans amener autre chose qu’un refus de serment de deux députés républicains. À cette heure, M. Kahn lui-même, l’homme souple et profond du groupe, ne comptait plus voir tourner à leur profit la politique générale. Rougon, exaspéré, s’occupait de son affaire des Landes avec un redoublement de passion, comme pour cacher les tressaillements de sa face, qu’il ne parvenait plus à endormir.

— Je ne me sens pas bien, disait-il parfois. Vous voyez, mes mains tremblent… Mon médecin m’a ordonné de faire de l’exercice. Je suis toute la journée dehors.