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LES ROUGON-MACQUART.

Les Charbonnel se regardèrent avec un léger haussement d’épaules. Le mari murmura :

— Ce n’est pas la peine, monsieur Rougon.

Et comme Rougon insistait, en jurant qu’il allait faire tous ses efforts, qu’il n’entendait pas les voir partir ainsi :

— Ce n’est pas la peine, bien sûr, répéta la femme. Vous vous donneriez du mal pour rien… Nous avons causé de vous avec notre avocat. Il s’est mis à rire, il nous a dit que vous n’étiez pas de force en ce moment contre monseigneur Rochart.

— Quand on n’est pas de force, que voulez-vous ? dit à son tour M. Charbonnel. Il vaut mieux céder.

Rougon avait baissé la tête. Les phrases de ces vieilles gens l’atteignaient comme des soufflets. Jamais il n’avait souffert plus cruellement de son impuissance.

Cependant, madame Charbonnel continuait :

— Nous allons retourner à Plassans. C’est beaucoup plus sage… Oh ! nous ne nous quittons pas fâchés, monsieur Rougon. Quand nous verrons là-bas madame Félicité votre mère, nous lui dirons que vous vous êtes mis en quatre pour nous. Et si d’autres nous questionnent, n’ayez pas peur, ce n’est jamais nous qui vous nuirons. On n’est point tenu de faire plus qu’on ne peut, n’est-ce pas ?

C’était le comble. Il s’imaginait les Charbonnel débarquant au fond de sa province. Dès le soir, toute la petite ville clabaudait. C’était pour lui un échec personnel, une défaite dont il mettrait des années à se relever.

— Restez ! cria-t-il, je veux que vous restiez !… Nous verrons si monseigneur Rochart m’avale d’une bouchée !

Il riait d’un rire inquiétant, qui effraya les Charbonnel. Pourtant ils résistaient toujours. Enfin, ils consen-