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LES ROUGON-MACQUART.

don, madame Testanière, madame Jalaguier, venaient tous les jours pleurer misère chez elle et lui rappeler les engagements qu’elle avait cru pouvoir prendre.

— Moi, je comptais sur vous, dit-elle en terminant. Oh ! vous m’avez laissée dans un joli pétrin !… Tenez, de ce pas, je vais au ministère de l’instruction publique, pour la bourse du petit Jalaguier. Vous me l’aviez promise, cette bourse.

Elle soupira, elle murmura encore :

— Enfin, nous sommes bien forcés de trotter, puisque vous refusez d’être notre bon Dieu à tous.

Rougon, que le vent incommodait, gonflait le dos en regardant, au bas du pont, le port Saint-Nicolas, qui mettait là un coin de ville marchande. Tout en écoutant madame Correur, il s’intéressait à une péniche chargée de pains de sucre ; des hommes la déchargeaient, en faisant glisser les pains le long d’une rigole formée de deux planches. Trois cents personnes, du haut des quais, suivaient cette manœuvre.

— Je ne suis rien, je ne peux rien, répondit-il. Vous avez tort de me garder rancune.

Mais elle reprit d’un ton superbe :

— Laissez donc ! je vous connais, moi ! Quand vous voudrez, vous serez tout… Ne faites pas le finaud, Eugène !

Il ne put retenir un sourire. La familiarité de madame Mélanie, comme il la nommait autrefois, réveillait en lui le souvenir de l’hôtel Vanneau, lorsqu’il n’avait pas de bottes aux pieds et qu’il conquérait la France. Il oublia les reproches qu’il venait de s’adresser, en sortant de chez les Charbonnel.

— Voyons, dit-il d’un air bon enfant, qu’avez-vous à me conter ?… Mais, je vous en prie, ne restons pas en place. On gèle ici. Puisque vous allez rue de Grenelle, je vous accompagne jusqu’au bout du pont.