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LES ROUGON-MACQUART.

Le fiacre venait de s’arrêter devant le petit hôtel de la rue Marbeuf. Alors, sans descendre, la portière fermée, ils causèrent là encore un instant, comme s’ils s’étaient trouvés dans leur cabinet, très à l’aise. Rougon avait le soir à dîner M. Bouchard et le colonel Jobelin ; et il voulait retenir M. Kahn, qui refusait, à son grand regret, étant déjà invité ailleurs. Maintenant, le grand homme se passionnait pour l’affaire de la concession. Quand il fut enfin descendu du fiacre, il referma amicalement la portière, en échangeant un dernier signe de tête avec l’ancien député.

— À demain jeudi, n’est-ce pas ? cria celui-ci, qui allongea le cou, pendant que la voiture l’emportait.

Rougon rentra avec une légère fièvre. Il ne put même lire les journaux du soir. Bien qu’il fût à peine cinq heures, il passa au salon, où il attendit ses invités, en se promenant de long en large. Le premier soleil de l’année, ce pâle soleil de janvier, lui avait donné un commencement de migraine. Il gardait de son après-midi une sensation très-vive. Toute la bande était là, les amis qu’il subissait, ceux dont il avait peur, ceux pour lesquels il éprouvait une véritable affection, le poussant, l’acculant à un dénoûment immédiat. Et cela ne lui déplaisait pas ; il donnait raison à leur impatience, il sentait monter en lui une colère faite de leurs colères. C’était comme si, peu à peu, on eût rétréci l’espace devant ses pas. L’heure venait où il lui faudrait faire quelque saut formidable.

Brusquement, il songea à Gilquin, qu’il avait complétement oublié. Il sonna pour demander si « le monsieur au paletot vert » était revenu, pendant son absence. Le domestique n’avait vu personne. Alors, il donna l’ordre, s’il se présentait le soir, de l’introduire dans son cabinet.

— Et vous me préviendrez tout de suite, ajouta-t-il, même si nous sommes à table.