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LES ROUGON-MACQUART.

à leur trousse, murmura-t-il en affectant une grande indifférence.

Gilquin se mit à ricaner. Il mâchait entre ses dents :

— La préfecture fera bien de se presser, en ce cas.

Et il se tut, riant toujours, donnant une tape amicale à son chapeau. Le grand homme comprit qu’il n’avait pas tout dit. Il le regarda en face. Mais l’autre rouvrait la porte, en reprenant :

— Enfin, te voilà prévenu… Moi, je vais dîner, mon bon. Je n’ai pas encore dîné, tel que tu me vois. J’ai filé mes individus toute l’après-midi… Et j’ai une faim !

Rougon l’arrêta, offrit de lui faire servir un morceau de viande froide ; et il donna tout de suite l’ordre de mettre un couvert, dans la salle à manger. Gilquin parut très-touché. Il referma la porte du cabinet, baissa le ton, pour que le domestique n’entendît pas.

— Tu es un bon garçon… Écoute bien. Je ne veux pas te mentir. Si tu m’avais mal reçu, j’allais à la préfecture… Mais à présent tu sauras tout. C’est de l’honnêteté, hein ? Tu te souviendras de ce service-là, j’espère. Les amis sont toujours les amis, on a beau dire…

Alors, il se pencha, il ajouta d’une voix sifflante :

— C’est pour demain soir… On doit nettoyer Badinguet devant l’Opéra, à son entrée au théâtre. La voiture, les aides de camp, la clique, tout sera balayé du coup.

Pendant que Gilquin s’attablait dans la salle à manger, Rougon resta au milieu de son cabinet, immobile, la face terreuse. Il réfléchissait, il hésitait. Enfin, il s’assit à son bureau, prit une feuille de papier ; mais il la repoussa presque aussitôt. Un instant, il parut vouloir se diriger vivement vers la porte, comme sur le point de donner un ordre. Et il revint lentement, il s’absorba de nouveau dans une pensée qui noyait son visage d’ombre.

À ce moment, devant la cheminée, le fauteuil à dos-