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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

brasure d’une des grandes portes-fenêtres qui ouvrent sur le jardin. Il paraissait furibond.

— Je l’ai encore manqué ! reprit-il. Il a filé par la rue de Bourgogne, pendant que je le guettais dans la salle du général Foy… Mais ça ne fait rien, nous allons tout de même savoir. J’ai lancé Béjuin aux trousses de Delestang.

Et il y eut là une nouvelle attente, pendant dix bonnes minutes. Les députés sortaient d’un air nonchalant, par les deux grands tambours de drap vert qui masquaient les portes. Certains s’attardaient à allumer un cigare. D’autres, en petits groupes, stationnaient, riant, échangeant des poignées de main. Cependant, madame Correur était allée contempler le groupe du Laocoon. Et, tandis que les Charbonnel pliaient le cou en arrière pour voir une mouette que la fantaisie bourgeoise du peintre avait peinte sur le cadre d’une fresque, comme envolée du tableau, la belle Clorinde, debout devant la grande Minerve de bronze, s’intéressait à ses bras et à sa gorge de déesse géante. Dans l’embrasure de la porte-fenêtre, le colonel Jobelin et M. Kahn causaient vivement, à voix basse.

— Ah ! voici Béjuin ! s’écria ce dernier.

Tous se rapprochèrent, la face tendue. M. Béjuin respirait fortement.

— Eh bien ? lui demanda-t-on.

— Eh bien ! la démission est acceptée, Rougon se retire.

Ce fut un coup de massue. Un gros silence régna. Clorinde, qui nouait nerveusement un coin de son châle pour occuper ses doigts irrités, vit alors au fond du jardin la jolie madame Bouchard qui marchait doucement au bras de M. d’Escorailles, la tête un peu penchée sur son épaule. Ils étaient descendus avant les