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LES ROUGON-MACQUART.

il s’agissait maintenant de lancer l’affaire, et il sentait toute la solennité que la présence du ministre donnerait à la mise en scène, dont il soignait déjà les détails.

— Alors, c’est entendu, je compte sur vous pour le premier coup de mine, dit-il en s’en allant.

Rougon s’était remis devant son bureau. Il consultait une liste de noms. Derrière la porte, dans l’antichambre, l’attente grandissait.

— J’ai à peine un quart d’heure, murmura-t-il. Enfin, je recevrai ceux que je pourrai.

Il sonna et dit à Merle :

— Faites entrer monsieur le préfet de la Somme.

Mais il reprit aussitôt, la liste sous les yeux :

— Attendez donc !… Est-ce que monsieur et madame Charbonnel sont là ? Faites-les entrer.

On entendit la voix de l’huissier appelant : « Monsieur et madame Charbonnel ! » Et les deux bourgeois de Plassans parurent, suivis par les regards étonnés de toute l’antichambre. M. Charbonnel était en habit, un habit à queue carrée, qui avait un collet de velours ; madame Charbonnel portait une robe de soie puce, avec un chapeau à rubans jaunes. Depuis deux heures, ils attendaient, patiemment.

— Il fallait me faire passer votre carte, dit Rougon. Merle vous connaît.

Puis, sans leur laisser balbutier des phrases où les mots : « Votre Excellence » revenaient sans cesse, il cria gaiement :

— Victoire ! Le Conseil d’État a rendu son arrêt. Nous avons battu notre terrible évêque.

L’émotion de la vieille dame fut si forte, qu’elle dut s’asseoir. Le mari s’appuya au dossier d’un fauteuil.

— J’ai su cette bonne nouvelle hier soir, continuait le ministre. Comme je tenais à vous l’apprendre