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LES ROUGON-MACQUART.

C’était la fin. Son Excellence allait mettre le feu à la première mine. Des ordres venaient d’être donnés à l’équipe d’ouvriers en blouses neuves. Ces hommes précédèrent le ministre et M. Kahn dans la tranchée, et se rangèrent au fond, sur deux lignes. Un contre-maître tenait un bout de corde allumé, qu’il présenta à Rougon. Les autorités, restées sous la tente, allongeaient le cou. Le public anxieux attendait. La Société philharmonique jouait toujours.

— Est-ce que ça va faire beaucoup de bruit ? demanda avec un sourire inquiet la femme du proviseur à l’un des deux substituts.

— C’est selon la nature de la roche, se hâta de répondre le président du tribunal de commerce, qui entra dans des explications minéralogiques.

— Moi, je me bouche les oreilles, murmura l’aînée des trois filles du conservateur des eaux et forêts.

Rougon, la corde allumée à la main, au milieu de tout ce monde, se sentait ridicule. En haut, sur la crête des coteaux, les carcasses des moulins craquaient plus fort. Alors, il se hâta, mit le feu à la mèche dont le contre-maître lui indiqua le bout, entre deux pierres. Aussitôt un ouvrier souffla dans une trompe, longuement. Toute l’équipe s’écarta, M. Kahn avait vivement ramené Son Excellence sous la tente, en montrant une sollicitude inquiète.

— Eh bien, ça ne part donc pas ? balbutia le conservateur des hypothèques, qui clignait les yeux d’anxiété, avec une envie folle de se boucher les oreilles, comme les dames.

L’explosion n’eut lieu qu’au bout de deux minutes. On avait mis la mèche très-longue, par prudence. L’attente des spectateurs tournait à l’angoisse ; tous les yeux, fixés sur la roche rouge, s’imaginaient la voir remuer ;