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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

que Du Poizat avait appris là-bas sa disgrâce, et qu’il accourait, pour voir s’il n’y aurait pas moyen de se raccrocher aux branches. Il le regarda jusqu’à l’âme, en disant :

— Je vous aurais écrit ce soir… Donnez votre démission, mon brave.

— C’est tout ce que je voulais savoir, on donnera sa démission, répondit simplement Du Poizat.

Et il se leva, sifflotant. Comme il se promenait à petits pas, il aperçut Delestang, à genoux sur le tapis, au milieu d’une débâcle de cartons. Il alla en silence lui donner une poignée de main. Puis, il tira de sa poche un cigare qu’il alluma à la bougie.

— On peut fumer, puisqu’on déménage, dit-il en s’installant de nouveau dans le fauteuil. C’est gai, de déménager !

Rougon s’absorbait dans une liasse de papiers, qu’il lisait avec une attention profonde. Il les triait soigneusement, brûlant les uns, conservant les autres. Du Poizat, la tête renversée, soufflant du coin des lèvres de légers filets de fumée, le regardait faire. Ils s’étaient connus quelques mois avant la révolution de Février. Ils logeaient alors tous les deux chez madame Mélanie Correur, hôtel Vanneau, rue Vanneau. Du Poizat se trouvait là en compatriote ; il était né, ainsi que madame Correur, à Coulonges, une petite ville de l’arrondissement de Niort. Son père, un huissier, l’avait envoyé faire son droit à Paris, où il lui servait une pension de cent francs par mois, bien qu’il eût gagné des sommes fort rondes en prêtant à la petite semaine ; la fortune du bonhomme restait même si inexplicable dans le pays, qu’on l’accusait d’avoir trouvé un trésor, au fond d’une vieille armoire, dont il avait opéré la saisie. Dès les premiers temps de la propagande bonapartiste, Rougon utilisa ce garçon mai-