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LES ROUGON-MACQUART.

— Cette voiture est pour vous, n’est-ce pas ? Vous ne pouvez traîner mon mari à Niort, dans l’état où il se trouve.

— Mon Dieu ! madame, dit-il pour la troisième fois, ma mission est très-pénible…

— Mais c’est un crime ! Vous le tuez… Vous n’avez pas été chargé de le tuer, pourtant !

— J’ai des ordres, répondit-il d’une voix plus rude, voulant couper court à la scène de supplications qu’il prévoyait.

Elle eut un geste terrible. Une colère folle passa sur sa face de bourgeoise grasse, tandis que ses regards faisaient le tour de la pièce, comme pour chercher quelque moyen suprême de salut. Mais, d’un effort, elle s’apaisa, elle reprit son attitude de femme forte qui ne comptait pas sur ses larmes.

— Dieu vous punira, monsieur, dit-elle simplement, après un silence, pendant lequel elle ne l’avait pas quitté des yeux.

Et elle retourna, sans un sanglot, sans une supplication, s’accouder au fauteuil où son mari agonisait. Gilquin avait souri.

À ce moment, le brigadier, qui était allé lui-même au Lion d’or, revint dire que l’aubergiste prétendait ne pas avoir pour l’instant la moindre carriole. Le bruit de l’arrestation du notaire, très-aimé dans le pays, avait dû se répandre. L’aubergiste cachait certainement ses voitures ; deux heures auparavant, interrogé par le commissaire central, il s’était engagé à lui garder un vieux coupé, qu’il louait d’ordinaire aux voyageurs, pour des promenades dans les environs.

— Fouillez l’auberge ! cria Gilquin repris par la fureur devant ce nouvel obstacle ; fouillez toutes les maisons du village !… Est-ce qu’on se fiche de nous, à