Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/339

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
339
SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

pioche des démolisseurs commençait à éventrer. C’étaient des rues désertes, bordées de jardins et de constructions en planches, des traverses escarpées qui tournaient sur elles-mêmes, d’étroites places de province plantées d’arbres maigres, tout un coin bâtard de grande ville se chauffant sur un coteau, au soleil matinal, avec des villas et des échoppes à la débandade.

— Est-ce laid, par ici ! dit Clorinde, renversée au fond du landau.

Elle s’était tournée à demi vers son mari, elle l’examina un instant, la face grave ; et, comme malgré elle, elle se mit à sourire. Delestang, correctement boutonné dans sa redingote, était assis avec dignité sur son séant, le corps ni trop en avant ni trop en arrière. Sa belle figure pensive, sa calvitie précoce qui lui haussait le front faisaient retourner les passants. La jeune femme remarqua que personne ne regardait Rougon, dont le visage lourd semblait dormir. Alors, maternellement, elle tira un peu la manchette gauche de son mari, trop enfoncée sous le parement.

— Qu’est-ce que vous avez donc fait cette nuit ? demanda-t-elle au grand homme, en lui voyant étouffer des bâillements dans ses doigts.

— J’ai travaillé tard, je suis harassé, murmura-t-il. Un tas d’affaires bêtes !

Et la conversation tomba de nouveau. Maintenant, c’était lui qu’elle étudiait. Il s’abandonnait aux légères secousses de la voiture, sa redingote déformée par ses larges épaules, son chapeau mal brossé, gardant les marques d’anciennes gouttes de pluie. Elle se souvenait d’avoir, le mois précédent, acheté un cheval à un maquignon qui lui ressemblait. Son sourire reparut, avec une pointe de dédain.

— Eh bien ? dit-il, impatienté d’être examiné de la sorte.