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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

les lettres qui s’éteignaient ; il faisait brûler en l’air les boules de papier trop serrées ; il remuait les débris embrasés, comme s’il avait agité l’alcool flambant d’un bol de punch. Dans la coupe, des étincelles vives couraient ; tandis qu’une fumée bleuâtre montait, roulait doucement jusqu’à la fenêtre ouverte. La bougie s’effarait par instants, puis brûlait avec une flamme toute droite, très-haute.

— Votre bougie a l’air d’un cierge, dit encore Du Poizat en ricanant. Hein ! quel enterrement, mon pauvre ami ! comme on a des morts à coucher dans la cendre !

Rougon allait répondre, lorsqu’un nouveau bruit vint de l’antichambre. Merle, une seconde fois, défendait la porte. Et, comme les voix grandissaient :

— Delestang, ayez donc l’obligeance de voir ce qui se passe, dit Rougon. Si je me montre, nous allons être envahis.

Delestang ouvrit prudemment la porte, qu’il referma derrière lui. Mais il passa presque aussitôt la tête, en murmurant :

— C’est Kahn qui est là.

— Eh bien ! qu’il entre, dit Rougon. Mais lui seulement, entendez-vous !

Et il appela Merle pour lui renouveler ses ordres.

— Je vous demande pardon, mon cher ami, reprit-il en se tournant vers M. Kahn, quand l’huissier fut sorti. Mais je suis si occupé… Asseyez-vous à côté de Du Poizat, et ne bougez plus ; autrement, je vous flanque à la porte tous les deux.

Le député ne parut pas ému le moins du monde de cet accueil brutal. Il était fait au caractère de Rougon. Il prit un fauteuil, s’assit à côté de Du Poizat, qui allumait un second cigare. Puis, après avoir soufflé :