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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

— Les services qu’il m’a rendus ! quelle plaisanterie !… J’ai dû attendre ma concession pendant deux ans. Cela m’a ruiné. L’affaire, qui était superbe, est devenue très-lourde… Puisqu’il m’aime tant, pourquoi ne vient-il pas à mon secours, maintenant ? Je lui ai demandé d’obtenir de l’empereur une loi autorisant la fusion de ma compagnie avec la compagnie du chemin de fer de l’Ouest ; il m’a répondu qu’il fallait attendre… Les services de Rougon, ah ! je demande à les voir ! Il n’a jamais rien fait, et il ne peut plus rien faire !

— Et moi, et moi, reprit le colonel en coupant du geste la parole à madame Correur, et moi, croyez-vous que je lui doive quelque chose ? Il ne parle pas peut-être de ce grade de commandeur qui m’était promis depuis cinq ans ?… Il a pris Auguste dans ses bureaux, c’est vrai ; mais je m’en mords joliment les doigts aujourd’hui. Si j’avais mis Auguste dans l’industrie, il gagnerait déjà le double… Cet animal de Rougon m’a déclaré hier ne pas pouvoir augmenter Auguste avant dix-huit mois. Si c’est ainsi qu’il ruine son crédit pour ses amis !

Madame Correur réussit enfin à se soulager. Elle s’était penchée vers Clorinde.

— Dites, madame, il ne m’a pas nommée ? Jamais je n’ai reçu ça de lui. J’en suis encore à connaître la couleur de ses bienfaits. Il n’en peut pas dire autant, et si je voulais parler… J’ai sollicité pour plusieurs dames de mes amies, je ne m’en défends pas ; j’aime à rendre service. Eh bien ! une remarque que j’ai faite : tout ce qu’il accorde tourne à mal, ses faveurs semblent porter malheur au monde. Ainsi cette pauvre Herminie Billecoq, une ancienne élève de Saint-Denis, séduite par un officier, et pour laquelle il avait trouvé une dot ; voilà qu’elle est accourue me raconter une catastrophe ce matin, elle ne se marie plus, l’officier a filé, après avoir croqué