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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

mais cela se passait toujours ainsi, on se moquait bien des parents ! Rougon seul pouvait détourner l’empereur de lui confier les sceaux, par crainte d’avoir à partager son influence dans le conseil. La jeune femme fouettait sa rancune. Puis, elle parlait à demi-mot du prochain triomphe de son mari, en lui donnant la vague espérance d’être compris dans la nouvelle combinaison ministérielle. En somme, elle se servait de lui pour savoir ce qui se passait chez Rougon. Par une méchanceté de femme, elle aurait voulu voir ce dernier malheureux en ménage ; et elle poussait le magistrat à faire épouser sa querelle par sa sœur. Il dut essayer, regretter tout haut un mariage dont il ne tirait aucun profit ; mais il échoua sans doute, devant la placidité de madame Rougon. Son beau-frère, disait-il, était très-nerveux depuis quelque temps. Il insinuait qu’il le croyait mûr pour la chute ; et il regardait la jeune femme fixement, il lui racontait des faits caractéristiques, d’un air aimable de causeur colportant sans malice les cancans du monde. Pourquoi donc n’agissait-elle pas, si elle était maîtresse ? Elle, paresseusement, s’allongeait davantage, prenait une mine de personne enfermée chez elle par un temps de pluie, se résignant dans l’attente d’un rayon de soleil.

Pourtant, aux Tuileries, la puissance de Clorinde grandissait. On causait à voix basse du vif caprice que Sa Majesté éprouvait pour elle. Dans les bals, aux réceptions officielles, partout où l’empereur la rencontrait, il tournait autour de ses jupes de son pas oblique, lui regardait dans le cou, lui parlait de près, avec un lent sourire. Et, disait-on, elle n’avait encore rien accordé, pas même le bout des doigts. Elle jouait son ancien jeu de fille à marier, très-provocante, libre, disant tout, montrant tout, mais continuellement sur ses gardes, se dérobant juste à la minute voulue. Elle semblait