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LES ROUGON-MACQUART.

il ne discuta pas. Il les congédia, en leur promettant de ne plus agir. Et, en effet, il laissa étouffer l’affaire.

Depuis quelques jours, il était sous le coup d’un autre scandale, auquel son nom se trouvait mêlé indirectement. Un drame affreux avait eu lieu à Coulonges. Du Poizat, entêté, voulant monter sur le dos de son père, selon l’expression de Gilquin, était revenu un matin frapper à la porte de l’avare. Cinq minutes plus tard, les voisins entendirent des coups de fusil dans la maison, au milieu de hurlements épouvantables. Quand on entra, on trouva le vieillard étendu au pied de l’escalier, la tête fendue ; deux fusils déchargés gisaient au milieu du vestibule. Du Poizat, livide, raconta que son père, en le voyant se diriger vers l’escalier, s’était mis brusquement à crier au voleur, comme frappé de folie, et lui avait tiré deux coups de feu, presque à bout portant ; il montrait même le trou d’une balle dans son chapeau. Puis, toujours d’après lui, son père, tombant à la renverse, était allé se briser le crâne sur l’angle de la première marche. Cette mort tragique, ce drame mystérieux et sans témoin, soulevaient dans tout le département les bruits les plus fâcheux. Les médecins constatèrent bien un cas d’apoplexie foudroyante. Les ennemis du préfet n’en prétendaient pas moins que celui-ci devait avoir poussé le vieux ; et le nombre de ses ennemis grandissait chaque jour, grâce à l’administration pleine de rudesse qui écrasait Niort sous un régime de terreur. Du Poizat, les dents serrées, crispant ses poings d’enfant maladif, restait blême et debout, arrêtant les commérages sur le pas des portes, d’un seul regard de ses yeux gris, quand il passait. Mais il lui arriva un autre malheur ; il lui fallut casser Gilquin, compromis dans une vilaine histoire d’exonération militaire ; Gilquin, pour cent francs, s’engageait à exempter des fils de paysan ; et tout ce qu’on put faire,