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LES ROUGON-MACQUART.

— C’est un cadeau ? murmura discrètement M. Kahn, en montrant le bijou d’un signe.

Elle répondit oui de la tête, les lèvres toujours pincées, dans une moue fine et sensuelle. Elle avait voulu ce servage. Elle l’affichait avec une sérénité d’impudeur qui la mettait au-dessus des fautes banales, honorée d’un choix princier, jalousée de toutes. Quand elle s’était montrée, le cou serré dans ce collier, sur lequel des yeux perçants de rivales prétendaient lire un prénom illustre mêlé au sien, toutes les femmes avaient compris, échangeant des coups d’œil, comme pour se dire : C’est donc fait ! Depuis un mois, le monde officiel causait de cette aventure, attendait ce dénoûment. Et c’était fait, en vérité ; elle le criait elle-même, elle le portait écrit sur l’épaule. S’il fallait en croire une histoire chuchotée d’oreille à oreille, elle avait eu pour premier lit, à quinze ans, la botte de paille où dormait un cocher, au fond d’une écurie. Plus tard, elle était montée dans d’autres couches, toujours plus haut, des couches de banquiers, de fonctionnaires, de ministres, élargissant sa fortune à chacune de ses nuits. Puis, d’alcôve en alcôve, d’étape en étape, comme apothéose, pour satisfaire une dernière volonté et un dernier orgueil, elle venait de poser sa belle tête froide sur l’oreiller impérial.

— Madame, un bock, je vous prie ! demanda un gros monsieur décoré, un général qui la regardait en souriant.

Et quand elle eut apporté le bock, deux députés l’appelèrent.

— Deux verres de chartreuse, s’il vous plaît !

Un flot de monde arrivait, de tous côtés les demandes se croisaient : des grogs, de l’anisette, de la limonade, des gâteaux, des cigares. Les hommes la dévisageaient, causant bas, allumés par l’histoire polissonne qui cou-