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LES ROUGON-MACQUART.

haha grandissait dans la buée rouge flottant au-dessus des chapeaux noirs. Et, par moments, au milieu du sourd murmure, le grincement du tourniquet partait avec un bruit de crécelle.

Madame Correur, qui arrivait, faisait à petits pas le tour des comptoirs, très-grosse, vêtue d’une robe de grenadine rayée blanche et mauve, sous laquelle la graisse de ses épaules et de ses bras se renflait en bourrelets rosâtres. Elle avait une mine prudente, des regards réfléchis de cliente cherchant un bon coup à faire. D’ordinaire, elle disait qu’on trouvait d’excellentes occasions, dans ces ventes de charité ; ces pauvres dames ne savaient pas, ne connaissaient pas toujours leurs marchandises. Jamais, d’ailleurs, elle n’achetait aux vendeuses de sa connaissance ; celles-là « salaient » trop leur monde. Quand elle eut fait le tour de la salle, retournant les objets, les flairant, les reposant, elle revint à un comptoir de maroquinerie, devant lequel elle resta dix grosses minutes, à fouiller l’étalage d’un air perplexe. Enfin, négligemment, elle prit un portefeuille en cuir de Russie sur lequel elle avait jeté les yeux depuis plus d’un quart d’heure.

— Combien ? demanda-t-elle.

La vendeuse, une grande jeune femme blonde, en train de plaisanter avec deux messieurs, se tourna à peine, répondit :

— Quinze francs.

Le portefeuille en valait au moins vingt. Ces dames, qui luttaient entre elles à tirer des hommes des sommes extravagantes, vendaient généralement aux femmes à prix coûtant, par une sorte de franc-maçonnerie. Mais madame Correur remit le portefeuille sur le comptoir d’un air effrayé, en murmurant :

— Oh ! c’est trop cher… Je veux faire un cadeau.