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LES ROUGON-MACQUART.

Chambre. Ces explications étaient évidemment destinées au public. M. Kahn et Du Poizat, qui connaissaient leur Rougon, tâchèrent par des phrases habiles de savoir la vérité vraie. Le grand homme, comme ils le nommaient familièrement entre eux, devait jouer quelque jeu formidable. Ils mirent la conversation sur la politique en général. Rougon plaisantait le régime parlementaire, qu’il appelait « le fumier des médiocrités ». La Chambre, selon lui, jouissait encore d’une liberté absurde. On y parlait beaucoup trop. La France devait être gouvernée par une machine bien montée, l’empereur au sommet, les grands corps et les fonctionnaires au-dessous, réduits à l’état de rouages. Il riait, sa poitrine sautait, pendant qu’il outrait son système, avec une rage de mépris contre les imbéciles qui demandent des gouvernements forts.

— Mais, interrompit M. Kahn, l’empereur en haut, tous les autres en bas, ce n’est gai que pour l’empereur, cela !

— Quand on s’ennuie, on s’en va, dit tranquillement Rougon.

Il sourit, puis il ajouta :

— On attend que cela soit amusant, et l’on revient.

Il y eut un long silence. M. Kahn se mit à frotter son collier de barbe, satisfait, sachant ce qu’il voulait savoir. La veille, à la Chambre, il avait deviné juste, quand il insinuait que Rougon, voyant son crédit ébranlé aux Tuileries, était allé de lui-même au-devant d’une disgrâce, pour faire peau neuve ; l’affaire Rodriguez lui offrait une superbe occasion de tomber en honnête homme.

— Et que dit-on ? demanda Rougon pour rompre le silence.

— Moi, j’arrive, répondit Du Poizat. Cependant, tout à l’heure, dans un café, j’ai entendu un monsieur décoré qui approuvait vivement votre retraite.