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LES ROUGON-MACQUART.

deviens chien, moi !… Hein ? il faut tâcher de nous refaire.

Et, comme ils passaient devant le tourniquet, madame Bouchard jeta son cri :

— À vingt sous le coup, messieurs… Tirez un coup…

Ils s’approchèrent, en feignant de n’avoir pas entendu.

— Combien le coup, la marchande ?

— Vingt sous, messieurs.

Les rires recommencèrent de plus belle. Mais madame Bouchard, dans sa toilette bleue, restait candide, levant des yeux étonnés sur les deux messieurs, comme si elle ne les avait pas connus. Alors, une partie formidable s’engagea. Pendant un quart d’heure, le tourniquet grinça, sans un arrêt. Ils tournaient l’un après l’autre. M. d’Escorailles gagna deux douzaines de coquetiers, trois petits miroirs, sept statuettes en biscuit, cinq étuis à cigarettes ; M. La Rouquette eut pour sa part deux paquets de dentelle, un vide-poche en porcelaine de camelote monté sur des pieds de zinc doré, des verres, un bougeoir, une boîte avec une glace. Madame Bouchard, les lèvres pincées, finit par crier :

— Ah bien ! non, vous avez trop de chance ! Je ne joue plus… Tenez, emportez vos affaires.

Elle en avait fait deux gros tas, à côté, sur une table. M. La Rouquette parut consterné. Il lui demanda d’échanger son tas contre le bouquet de violettes d’uniforme, qu’elle portait piqué dans ses cheveux. Mais elle refusa.

— Non, non, vous avez gagné ça, n’est-ce pas ? Eh bien, emportez ça.

— Madame a raison, dit gravement M. d’Escorailles. On ne boude pas la fortune, et du diable si je laisse un coquetier !… Moi, je deviens chien.

Il avait étalé son mouchoir et nouait proprement un paquet. Il y eut une nouvelle explosion d’hilarité. L’em-