Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/434

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
434
LES ROUGON-MACQUART.

défendu. Mais là, entre nous, vous étiez allé un peu loin… On a eu surtout à cœur votre dernière affaire pour les Charbonnel, vous savez, ces pauvres religieuses…

M. de Marsy réprima un sourire. Rougon répondit avec sa bonhomie des jours heureux :

— Oui, oui, la visite chez les religieuses… Mon Dieu, parmi toutes les bêtises que mes amis m’ont fait commettre, c’est peut-être la seule chose raisonnable et juste de mes cinq mois de pouvoir.

Et il s’en allait, quand il vit Du Poizat entrer et s’emparer de Delestang. Le préfet affecta de ne pas l’apercevoir. Depuis trois jours, embusqué à Paris, il attendait. Il dut obtenir son changement de préfecture, car il se confondit en remercîments, avec son sourire de loup aux dents blanches mal rangées. Puis, comme le nouveau ministre se tournait, il reçut presque dans les bras l’huissier Merle, poussé par madame Correur ; l’huissier baissait les yeux, pareil à une grande fille timide, pendant que madame Correur le recommandait chaudement.

— On ne l’aime pas au ministère, murmura-t-elle, parce qu’il protestait par son silence contre les abus. Allez, il en a vu de drôles sous M. Rougon !

— Oh ! oui, de bien drôles ! dit Merle. Je puis en conter long… M. Rougon ne sera guère regretté. Moi, je ne suis pas payé pour l’aimer, d’abord. Il a failli me faire mettre à la porte.

Dans la grande salle, que Rougon traversa à pas lents, les comptoirs étaient vides. Les visiteurs, pour plaire à l’impératrice qui patronnait l’œuvre, avaient mis les marchandises au pillage. Les vendeuses, enthousiasmées, parlaient de rouvrir le soir, avec un nouveau fonds. Et elles comptaient leur argent sur les tables. Des chiffres partaient, au milieu de rires victorieux : une avait