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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

faires, parbleu ! comme vous voulez faire les vôtres… Nous ne nous entendons guère. Si je puis même lui casser les reins quelque jour, je les lui casserai volontiers. Mais tout ce que vous racontez là n’empêche pas que Marsy soit d’une jolie force. Si la fantaisie l’en prenait, il ne ferait qu’une bouchée de vous deux, je vous en préviens.

Et il quitta son fauteuil, las d’être assis, étirant ses membres. Puis, il ajouta, dans un gros bâillement :

— D’autant plus, mes bons amis, que maintenant je ne pourrais plus me mettre en travers.

— Oh ! si vous vouliez, murmura Du Poizat avec un sourire mince, vous mèneriez Marsy fort loin. Vous avez bien ici quelques papiers qu’il achèterait cher… Tenez, là-bas, le dossier Lardenois, cette aventure dans laquelle il a joué un si singulier rôle. Je reconnais une lettre de lui, très-curieuse, que je vous ai apportée moi-même, dans le temps.

Rougon était allé jeter dans la cheminée les papiers dont il avait peu à peu empli la corbeille. La coupe de bronze ne suffisait plus.

— On s’assomme, on ne s’égratigne pas, dit-il en haussant dédaigneusement les épaules. Tout le monde a de ces lettres bêtes qui traînent chez les autres.

Et il prit la lettre, l’enflamma à la bougie, s’en servit comme d’une allumette pour mettre le feu au tas de papiers, dans la cheminée. Il resta là un instant, accroupi, énorme, à surveiller les feuilles embrasées qui roulaient jusque sur le tapis. Certains gros papiers administratifs noircissaient, se tordaient comme des lames de plomb ; des billets, des chiffons salis de vilaines écritures, brûlaient avec des petites langues bleues ; tandis que, dans le brasier ardent, au milieu d’un pullulement d’étincelles, des fragments consumés restaient intacts, lisibles encore.