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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

À la légation d’Italie, on lui parla de ces dames en termes très-favorables : le comte Balbi avait réellement existé ; la comtesse conservait de grandes relations à Turin ; la fille, enfin, était encore sur le point, l’année précédente, d’épouser un petit prince allemand. Mais, chez la duchesse Sanquirino, à laquelle il s’adressa ensuite, les histoires changèrent. Là, on lui affirma que Clorinde était née deux ans après la mort du comte ; d’ailleurs, il courait une légende très-compliquée sur le ménage Balbi, le mari et la femme ayant passé par une foule d’aventures, des débordements mutuels, un divorce prononcé en France, un raccommodement survenu en Italie, qui les avait fait vivre dans une sorte de concubinage. Un jeune attaché d’ambassade, très au courant de ce qui se passait à la cour du roi Victor-Emmanuel, fut plus net encore : selon lui, si la comtesse gardait là-bas de l’influence, elle la devait à une ancienne liaison avec un très-haut personnage ; et il laissait entendre qu’elle serait restée à Turin, sans certain scandale énorme, sur lequel il ne put s’expliquer. Rougon, gagné peu à peu par l’intérêt de cette enquête, alla jusqu’à la préfecture de police, où il ne trouva rien de précis ; les dossiers des deux étrangères les donnaient simplement comme des femmes menant un grand train, sans qu’on leur connût une fortune solide. Elles disaient posséder des biens en Piémont. La vérité était qu’il se produisait parfois des trous brusques dans leur luxe ; alors, elles disparaissaient tout d’un coup, pour reparaître bientôt avec une splendeur nouvelle. En somme, on ne savait rien sur leur compte, on préférait ne rien savoir. Elles fréquentaient le meilleur monde, leur maison était acceptée comme un terrain neutre, où l’on tolérait l’excentricité de Clorinde, à titre de fleur étrangère. Rougon se décida à voir ces dames.

À la troisième visite, la curiosité du grand homme