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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Les trois Vénitiens, sans lâcher leurs cigares, saluèrent. Le chevalier Rusconi retournait au piano, lorsque Clorinde l’interpella vivement, en lui reprochant d’être un mauvais maître de cérémonie. Et, à son tour, montrant Rougon, elle dit simplement, avec une intonation particulière, très-flatteuse :

— Monsieur Eugène Rougon.

On se salua de nouveau. Rougon, qui avait eu peur, un moment, de quelque plaisanterie compromettante, fut surpris du tact et de la dignité brusques de cette grande fille, à demi nue dans son costume de gaze. Il s’assit, il demanda des nouvelles de la comtesse Balbi, comme il le faisait d’habitude ; il affectait même, à chaque visite, d’être venu pour la mère, ce qui lui semblait plus convenable.

— J’aurais été très-heureux de lui présenter mes compliments, ajouta-t-il, selon la formule qu’il avait adoptée pour la circonstance.

— Mais maman est là ! dit Clorinde en montrant un coin de la pièce, du bout de son arc en bois doré.

Et la comtesse, en effet, était là, derrière des meubles, renversée dans un large fauteuil. Ce fut un étonnement. Les trois réfugiés politiques devaient, eux aussi, ignorer sa présence ; ils se levèrent et saluèrent. Rougon alla lui serrer la main. Il se tenait debout, et elle, toujours allongée, répondait par monosyllabes, avec ce continuel sourire qui ne la quittait pas, même lorsqu’elle souffrait. Puis, elle retomba dans son silence, distraite, jetant des coups d’œil de côté sur l’avenue, où un fleuve de voitures coulait. Elle s’était sans doute assise là pour voir passer le monde. Rougon la quitta.

Cependant, le chevalier Rusconi, assis de nouveau devant le piano, cherchait un air, tapant doucement les touches, chantonnant à demi-voix des paroles italiennes.