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LES ROUGON-MACQUART.

enfin laisser échapper une confidence ; mais le récit tournait à l’enfantillage, ou bien restait sans dénouement. Ce jour-là encore, il n’apprit rien. Elle avait sur la face son rire qui la masquait. Elle demeurait impénétrable, au milieu de son expansion bavarde. Rougon, assourdi par ces renseignements stupéfiants dont les uns démentaient les autres, en arrivait à ne plus savoir s’il avait auprès de lui une bambine de douze ans, innocente jusqu’à la bêtise, ou quelque femme très-savante, retournée à la naïveté par un raffinement.

Clorinde interrompit une aventure qui lui était arrivée dans une petite ville d’Espagne, la galanterie d’un voyageur dont elle avait dû accepter le lit, pendant qu’il dormait sur une chaise.

— Il ne faut pas retourner aux Tuileries, dit-elle sans transition aucune. Faites-vous regretter.

— Merci bien, mademoiselle Machiavel, répondit-il en riant.

Elle rit plus fort que lui. Mais elle ne continua pas moins à lui donner des conseils excellents. Et comme il tentait encore de lui pincer les bras, en manière de jeu, elle se fâcha, elle cria qu’on ne pouvait causer deux minutes sérieusement. Ah ! si elle était un homme ! comme elle saurait faire son chemin ! Les hommes avaient si peu de tête !

— Voyons, racontez-moi les histoires de vos amis, reprit-elle, en s’asseyant sur le bord de la table, tandis que Rougon restait debout devant elle.

Luigi, qui ne les quittait pas du regard, ferma violemment sa boîte à couleurs.

— Je m’en vais, dit-il.

Mais Clorinde courut à lui, le ramena, en jurant qu’elle allait reprendre la pose. Elle devait avoir peur