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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

— La religion fait la grandeur des États.

— Quand elle ne les ronge pas comme un ulcère, répliqua Rougon. L’histoire est là. Que l’empereur ne tienne pas les évêques en respect, il les aura bientôt tous sur les bras.

Alors, M. de Plouguern se fâcha à son tour. Il défendit Rome. Il parla des convictions de toute sa vie. Sans religion, les hommes retournaient à l’état de brutes. Et il en vint à plaider la grande cause de la famille. L’époque tournait à l’abomination ; jamais le vice ne s’était étalé plus impudemment, jamais l’impiété n’avait jeté un pareil trouble dans les consciences.

— Ne me parlez pas de votre empire ! finit-il par crier. C’est un fils bâtard de la révolution… Oh ! nous le savons, votre empire rêve l’humiliation de l’Église. Mais nous sommes là, nous ne nous laisserons pas égorger comme des moutons… Essayez un peu, mon cher monsieur Rougon, d’avouer vos doctrines au Sénat.

— Eh ! ne lui répondez plus, dit Clorinde. Si vous le poussiez, il finirait par cracher sur le Christ. C’est un damné.

Rougon, accablé, s’inclina. Il y eut un silence. La jeune fille cherchait sur le parquet le petit fragment détaché de la croix ; quand elle l’eût trouvé, elle le plia soigneusement avec le chapelet, dans un morceau de journal. Elle se calmait.

— Ah çà ! mignonne, reprit tout d’un coup M. de Plouguern, je ne t’ai pas encore dit pourquoi je suis monté. J’ai une loge au Palais-Royal ce soir, et je vous emmène.

— Ce parrain ! s’écria Clorinde, redevenue toute rose de plaisir. On va réveiller maman.

Elle l’embrassa « pour la peine », disait-elle. Elle se tourna vers Rougon, souriante, la main tendue, en disant avec une moue exquise :