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UNE PAGE D’AMOUR.

là, dans un monde en raccourci, les modes de tous les peuples, les fantaisies du roman et du théâtre. Les costumes empruntaient aux bouches roses et aux yeux bleus, à ces mines si tendres, une fraîcheur d’enfance. On aurait dit le gala d’un conte de fées, avec des Amours déguisés pour les fiançailles de quelque prince Charmant.

— On étouffe, disait Malignon. Je vais respirer.

Il sortait, ouvrant la porte du salon toute grande. Le plein jour de la rue entrait alors en un coup de lumière blafard, et qui attristait le resplendissement des lampes et des bougies. Et, tous les quarts d’heure, Malignon faisait battre la porte.

Mais le piano ne s’arrêtait pas. La petite Guiraud, avec son papillon noir d’Alsacienne sur ses cheveux blonds, dansait au bras d’un Arlequin deux fois plus grand qu’elle. Un Écossais faisait tourner si rapidement Marguerite Tissot, qu’elle perdait en chemin sa boîte de laitière. Les deux Berthier, Blanche et Sophie, qui étaient inséparables, sautaient ensemble, la Soubrette aux bras de la Folie, dont les grelots tintaient. Et l’on ne pouvait jeter un coup d’œil sur le bal sans rencontrer une demoiselle Levasseur ; les Chaperons-Rouges semblaient se multiplier ; il y avait partout des toquets et des robes de satin ponceau à bandes de velours noir. Cependant, pour danser à l’aise, de grands garçons et de grandes filles s’étaient réfugiés au fond de l’autre salon. Valentine de Chermette, enveloppée dans sa mantille d’Espagnole, faisait là des pas savants, en face d’un jeune monsieur qui était venu en habit. Tout d’un coup, il y eut des rires, on appela le monde, pour voir : c’était, derrière une porte, dans un coin, le petit Guiraud, le Pierrot de deux ans, et une petite fille de son âge, habillée en