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LES ROUGON-MACQUART.

semblait plein de menaces. Mais lorsqu’il ne fut plus là, il lui apparut ridicule, avec sa politesse et son aveuglement. Lui aussi s’occupait de cette comédie imbécile ! Et il n’avait pas eu une flamme dans le regard en la voyant là ! Alors, toute la maison lui devint hostile et glaciale. C’était un écroulement, rien ne la retenait plus, car elle détestait Henri autant que Juliette. Au fond de sa poche, elle avait repris la lettre entre ses doigts crispés. Elle balbutia un « au revoir », elle s’en alla, dans un vertige qui faisait tourner les meubles autour d’elle ; tandis que ces mots prononcés par madame de Guiraud retentissaient à ses oreilles sonnantes :

— « Adieu. Vous m’en voudrez peut-être aujourd’hui, mais vous aurez demain quelque amitié pour moi, et, croyez-moi, cela vaut mieux qu’un caprice. »

Sur le trottoir, lorsque Hélène eut refermé la porte, elle tira la lettre d’un geste violent et comme mécanique, elle la glissa dans la boîte. Puis, elle demeura quelques secondes, stupide, à regarder l’étroite lame de cuivre qui était retombée.

— C’est fait, dit-elle à demi-voix.

Elle revoyait les deux chambres tendues de cretonne rose, les bergères, le grand lit ; il y avait là Malignon et Juliette ; tout d’un coup le mur se fendait, le mari entrait ; et elle ne savait plus, elle était très-calme. D’un regard instinctif, elle regarda si personne ne l’avait aperçue mettant la lettre. La rue était vide. Elle tourna le coin, elle remonta.

— Tu as été sage, ma chérie ? dit-elle en embrassant Jeanne.

La petite, assise sur le même fauteuil, leva son visage boudeur. Sans répondre, elle jeta ses deux bras