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UNE PAGE D’AMOUR.

la stupeur d’une personne qui en aurait regardé une autre faire une mauvaise action, sans avoir eu l’idée d’intervenir. Elle sortait comme d’un rêve. Que s’était-il donc passé ? Pourquoi était-elle là, à suivre toujours les aiguilles sur ce cadran ? Deux minutes nouvelles s’étaient écoulées.

— Maman, dit Jeanne, si tu veux, nous irons voir le docteur ensemble, ce soir… Ça me promènera. J’étouffe aujourd’hui.

Hélène n’entendait pas. Encore treize minutes. Elle ne pouvait pourtant pas laisser s’accomplir une telle abomination. Il n’y avait plus en elle, dans ce réveil tumultueux, qu’une volonté furieuse d’empêcher cela. Il le fallait, elle ne vivrait plus. Et, folle, elle courut dans la chambre.

— Ah ! tu m’emmènes ! cria Jeanne joyeusement. Nous allons voir le docteur tout de suite, n’est-ce pas, petite mère ?

— Non, non, répondait-elle, cherchant ses bottines, se baissant pour regarder sous le lit.

Elle ne les trouva pas ; elle eut un geste de suprême insouciance, en pensant qu’elle pouvait bien sortir avec les petits souliers d’appartement qu’elle avait aux pieds. Maintenant, elle bouleversait l’armoire à glace pour trouver son châle. Jeanne s’était approchée, très-câline.

— Alors, tu ne vas pas chez le docteur, petite mère ?

— Non.

— Dis, emmène-moi tout de même… Oh ! emmène-moi, tu me feras tant plaisir !

Mais elle avait enfin son châle, elle le jetait sur ses épaules. Mon Dieu ! plus que douze minutes, juste le temps de courir. Elle irait là-bas, elle ferait quelque chose, n’importe quoi. En chemin, elle verrait.