Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/371

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
371
UNE PAGE D’AMOUR.

épaules, s’envolaient comme des ailes de papillon. Une poudre d’or tombait sur ses durs cheveux noirs et sur sa bonne face au nez écrasé, aux grosses lèvres. Et il n’y avait plus qu’eux, dans la chambre, le petit soldat et la cuisinière, coude à coude, sous le rayon. Jeanne les regardait.

— Eh bien, ma chérie, reprit Hélène, tu ne leur dis rien ?… Les voilà ensemble.

Jeanne les regardait, avec le tremblement de sa tête, un léger tremblement de femme très-vieille. Ils étaient là comme mari et femme, prêts à se prendre bras dessus, bras dessous, pour retourner au pays. La tiédeur du printemps les chauffait, et désireux d’égayer mademoiselle, ils finissaient par se rire dans la figure, d’un air bête et tendre. Une bonne odeur de santé montait de leurs dos arrondis. S’ils avaient été seuls, bien sûr que Zéphyrin aurait empoigné Rosalie et qu’il aurait reçu d’elle un fameux soufflet. Ça se voyait dans leurs yeux.

— Eh bien ! ma chérie, tu n’as rien à leur dire ?

Jeanne les regardait, étouffant davantage. Elle ne dit pas un mot. Brusquement, elle éclata en larmes. Zéphyrin et Rosalie durent quitter tout de suite la chambre.

— Je vous demande pardon…, mademoiselle et la compagnie…, répéta le petit soldat ahuri en s’en allant.

Ce fut là un des derniers caprices de Jeanne. Elle tomba dans une humeur sombre, dont rien ne la tirait plus. Elle se détachait de tout, même de sa mère. Quand celle-ci se penchait au-dessus du lit, pour chercher son regard, l’enfant gardait un visage muet, comme si l’ombre des rideaux seule eût passé sur ses yeux. Elle avait les silences, la résignation