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LES ROUGON-MACQUART.

un instant d’autre chose, debout l’un près de l’autre, se regardant bien en face. Une intimité s’établissait entre eux. Ils s’étonnaient en découvrant qu’ils avaient des goûts semblables. Ils se comprenaient souvent sans ouvrir les lèvres, le cœur tout d’un coup noyé de la même charité débordante. Et rien n’était plus doux, pour Hélène, que cette sympathie, qui se nouait en dehors des cas ordinaires, et à laquelle elle cédait sans résistance, tout amollie de pitié. Elle avait eu peur du docteur d’abord ; dans son salon, elle aurait gardé la froideur méfiante de sa nature. Mais là, ils se trouvaient loin du monde, partageant l’unique chaise, presque heureux de ces pauvres et laides choses qui les rapprochaient, en les attendrissant. Au bout de la semaine, ils se connaissaient comme s’ils avaient vécu des années côte à côte. Le taudis de la mère Fétu s’emplissait de lumière, dans cette communion de leur bonté.

Cependant, la vieille femme se remettait bien lentement. Le docteur était surpris et l’accusait de se dorloter, lorsqu’elle lui racontait que maintenant elle avait un plomb dans les jambes. Elle geignait toujours, elle restait sur le dos, à rouler la tête ; et elle fermait les yeux, comme pour les laisser libres. Même, un jour, elle parut s’endormir ; mais, sous ses paupières, un coin de ses petits yeux noirs les guettait. Enfin, elle dut se lever. Le lendemain, Hélène lui apporta la robe et le bonnet qu’elle lui avait promis. Quand le docteur fut là, la vieille s’écria tout d’un coup :

— Mon Dieu ! et la voisine qui m’a dit de voir à son pot-au-feu !

Elle sortit, elle tira la porte derrière elle, les laissant tous deux seuls. Ils continuèrent d’abord leur