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UNE PAGE D’AMOUR.

vous enfermez trop, vous ne menez pas assez la vie de tout le monde.

Il se tut, il y eut un silence. Sans doute il avait trouvé la transition qu’il cherchait ; mais, au moment de parler, il se recueillait. Il prit une chaise, s’assit à côté d’Hélène, en disant :

— Écoutez, ma chère fille, je désire causer sérieusement avec vous depuis quelque temps… L’existence que vous menez ici n’est pas bonne. Ce n’est point à votre âge qu’on se cloître comme vous le faites ; et ce renoncement est aussi mauvais pour votre enfant que pour vous… Il y a mille dangers, des dangers de santé et d’autres dangers encore…

Hélène avait levé la tête, d’un air de surprise.

— Que voulez-vous dire, mon ami ? demanda-t-elle.

— Mon Dieu ! je connais peu le monde, continua le prêtre avec un léger embarras, mais je sais pourtant qu’une femme y est très-exposée, lorsqu’elle reste sans défense… Enfin, vous êtes trop seule, et cette solitude dans laquelle vous vous enfoncez, n’est pas saine, croyez-moi. Un jour doit venir où vous en souffrirez.

— Mais je ne me plains pas, mais je me trouve très-bien comme je suis ! s’écria-t-elle avec quelque vivacité.

Le vieux prêtre branla doucement sa grosse tête.

— Certainement, cela est très-doux. Vous vous sentez parfaitement heureuse, je le comprends. Seulement, sur cette pente de la solitude et de la rêverie, on ne sait jamais où l’on va… Oh ! je vous connais, vous êtes incapable de mal faire… Mais vous pourriez y perdre tôt ou tard votre tranquillité. Un matin, il ne serait plus temps, la place que vous laissez vide autour de vous et en vous, se trouverait occupée