Page:Encyclopédie des gens du monde, T02.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ARI (262) ARI


quité, quité, il aurait, dans les égaremens d’une jeunesse orageuse, dissipé son patrimoine, et se serait vu réduit, pour vivre à Athènes, à vendre des remèdes. Le fond de ces récits, dégagés des interprétations malignes des ennemis d’Aristole ou des méprises d’un temps postérieur, porte à penser que le fils de Nicomachus exerça d’abord la profession de son père, ou que du moins il se livra dé très bonne heure aux études physiques et chimiques vers lesquelles son esprit observateur devait naturellement incliner, et qui d’ailleurs, à cette époque, faisaient partie intégrante de la philosophie. Du reste, il ne parait pas qu’Aristote ait jamais cessé de jouir d’une grande aisance.

Il n’avait pas encore dix-huit ans lorsqu’il vint à Athènes, poussé sans doute par la passion du savoir, qui là seulement pouvait trouver pleine satisfaction ; peut-être aussi par le désir d’entendre Platon, alors au plus haut point de sa renommée. Platon surtout après son retour de ses deux derniers voyages en Sicile, n’eut pas de peine à distinguer, dans la foule de ses disciples, ce puissant et vaste génie, dont la portée spéculative et la rigueur critique, jointes aux recherches les plus laborieuses sur tous les objets de la connaissance humaine, aux études les plus patientes de tous les travaux des philosophes antérieurs, lui révêlèrent bientôt le seul rival qu’il eût à craindre. Aussi, frappé de ses éminentes qualités, le surnomma-t-il d’abord l’ame de son école, tandis que cette demeure où le jeune Aristote commençait à former la bibliothèque la plus considérable qu’un particulier eût encore possédée, lui apparaissait comme le sanctuaire même de la science. Mais il était inévitable que deux esprits de cet ordre, deux esprits si différens et faits pour régner l’un et l’autre dans le domaine de la pensée, en vinssent tôt ou tard à une collision. Platon, d’ailleurs, vieillissait au sein de sa gloire ; et il ne pouvait voir sans peine un de ses plus jéunes disciples se placer avec toute l’énergie d’une raison indépendante, avec tout l’avenir d’un talent supérieur, dans un point de vue philosophique complètement opposé au sien. Il s’opéra donc entre eux un refroidissement qui aurait fini si l’on en croit les compilateurs d’anecdotes, par dégénérer en une véritable inimitié. Cependant, quand l’on considère avec quel respect et quels égards pleins de délicatesse Aristote parle de Platon dans ses écrits, lors même qu’il est obligé de le réfuter, l’on ne saurait admettre aisément le reproche d’ingratitude adressé au premier, ni ces hostilités mutuelles que les disciples, sans doute auront cru autoriser en les faisant remonter jusqu’à leurs maitres. « Entre deux amis, dit Aristote, abordant la réfutation de la fameuse théorie des idées, c’est un devoir de préférer la vérité [1]. » C’est là le langage d’un philosophe et non celui d’un ennemi. Il ne parait pas, au reste, que pendant son premier séjour à Athènes, qui dura 20 ans et se termina peu après la mort de Platon, arrivée en 348, Aristote ait élevé école contre école, du moins en philosophie.

Un fait singulier, mais qui est attesté par des témoignages trop imposans et en trop grand nombre pour qu’on puisse le révoquer en doute, c’est qu’à cette même époque, et non pas plus tard, le futur chef du Lycée ouvrit une école d’éloquence en opposition avec celle d’Isocrate. « Il est honteux de se taire quand Isocrate parle, » s’écriait-il en appliquant à l’illustre rhéteur un vers d’Euripide. En effet, un esprit aussi sévère que le sien devait voir avec quelque indignation la vogue d’un maitre qui non-seulement avait séparé l’éloquence de la dialectique, mais qui trop souvent réduisait la première à une vaine élégance de mots. Pour lui, renonçant momentanément à ses études favorites, il répandit un jour tout nouveau, dit Cicéron sur la théorie de l’éloquence, et rétablit l’union des connaissances positives avec les exercices oratoires. Aristote avait dès lors, selon toute apparence, composé plusieurs ouvrages, en partie au moins sur la rhétorique, sans parler d’un traité des Proverbes que lui reprochait Céphisodore, disciple d’Isocrate, dans les quatre livres qu’il écrivit contre lui pour la défense de son maitre.

Speusippe ayant été désigné par Pla-

  1. (*) Amicus Plato, magis amica veritas.