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der et accroître ses heureuses dispositions. Il lui fit étudier l’architecture, cet art auquel, alors surtout, se lioit étroitement celui de la composition des jardins, vers lequel il dirigeoit son goût.

Le Nôtre voyagea en Italie, seul pays qui offrit alors à l’architecture des jardins ces grands modèles dont le goût s’est propagé dans le reste de l’Europe. Les architectes de ce temps, et dans ce pays, étoient aussi les ordonnateurs des jardins et des plantations, dont ils savoient si bien mettre l’ensemble d’accord avec l’ordonnance des palais et des maisons de plaisance. Florence, Rome, Frascati, Tivoli et d’autres villes, ont conservé jusqu’à nos jours de ces grands plans de jardins et de parcs où Le Nôtre alla former son goût. Il passe même pour avoir donné à Rome les dessins des jardins de la villa Pamphili et de la villa Ludovisi.

Indépendamment des goûts qui dominent dans chaque siècle, il faut dire que celui des grands jardins d’Italie est peut-être soumis à l’influence de quelques causes naturelles et locales qui l’ont fait naître et qui l’y perpétuent. Le pays fournit à l’ordonnance des plantations un certain nombre d’arbres toujours verts, qui empêchent les jardins d’éprouver la tristesse des hivers ; mais ces arbres, tels que les pins, cyprès, mélèzes, orangers, lauriers, etc., sont moins favorables aux variétés que l’artiste, en d’autres climats, peut tirer des nombreux arbustes, de leurs floraisons, des différences de verdure des arbres sujets à perdre leurs feuilles. Le climat plus chaud, un soleil plus brûlant, permettent aussi beaucoup moins que dans le Nord, l’emploi des prés, des gazons, qui deviennent le fond le plus agréable, et si l’on peut dire, le tapis naturel du terrain.

Le Nôtre semble avoir bien compris ce que la différence de pays et de climats lui permettoit d’emprunter à l’Italie, et ce qu’elle repoussoit aussi en France. Il n’imita des jardins italiens que la grandeur de disposition, les vastes parties de plantations, et cette magnificence de percés, de distributions soumises à un plan uniforme et symétrique, mais avec toutes les variétés de détail que l’unité comporte. Du reste, il sut assortir les compositions à ce qu’on peut appeler les matériaux de son pays. Il pratiqua de vastes ombrages, des taillis et des fourrés d’arbustes à fleurs, formant des plants irréguliers, inscrits dans de vastes espaces de lignes régulières.

Il sut éviter aussi l’abus des ornemens factices et puériles des rocailles, des jeux hydrauliques multipliés, des labyrinthes, des imitations artificielles de portiques ou de colonnades par les arbres et les massifs de verdure découpés ; du moins s’il se trouve encore de tels caprices dans ses jardins, ce sont des détails si insignifians qu’ils n’empêchent point d’y admirer la grandeur, l’unité de conception, les beaux partis de décoration, les heureux mouvemens de terrain et l’art de mettre à profit les hasards, et même les obstacles de la nature.

Ce fut à Vaux-le-Vicomte que Le Nôtre fit, en France, les premiers essais de son talent. Il sut, par des inventions nouvelles, seconder la magnificence du surintendant Fouquet. Il est certain qu’il surpassa, dans ce délicieux séjour, tout ce qui avoit été fait jusqu’alors.

Au mot Jardinage, nous avons montré que des deux genres régulier et irrégulier qui aujourd’hui divisent les amateurs de jardins, aucun des deux ne pouvoit réclamer l’exclusion de l’autre, et que ce seroit par un abus de mois et d’idées, que le jardinage irrégulier se prétendroit avoir seul les avantages de l’imitation ; qu’au contraire, par sa prétention à paroître la réalité même, il s’éloignoit d’autant plus du caractère imitatif, qu’il tomboit dans le vice de l’identité.

Ce qu’il faut dire du jardinage considéré en grand, c’est que les vastes jardins étant ordinairement des dépendances des plus grands palais, l’art de les distribuer sera toujours de la compétence de l’architecte, et que la nature n’ayant point fait de jardins qui puissent servir de points d’imitation à l’art, la disposition et la création d’un jardin est laissée au libre arbitre de l’architecte, qui, selon le caractère du palais, les besoins et les convenances des lieux et des personnes, peut employer plus ou moins de régularité, de symétrie dans l’ordonnance des plantations, plus ou moins de luxe et de magnificence dans les accessoires de leur décoration.

C’est ce qu’a fait Le Nôtre, et l’on s’en convaincroit si quelques-uns de ses plus célèbres jardins existoient encore. Ainsi le parc de Sceaux, aujourd’hui détruit, offroit, quoique dans un vaste ensemble de lignes assujetties à un plan symétrique, beaucoup plus de variétés, de détails agrestes, que le parc de Versailles, où il dut coordonner ses conceptions à la magnificence du caractère royal.

Le Nôtre sentit qu’il travailloit pour un grand roi, pour un grand siècle ; il fit preuve, dans la composition de ce jardin, d’un génie fécond en ressources. Ses inventions, nombreuses et variées, offrent des partis imposans qui furent profondément médités, sous le rapport de l’effet qu’ils devoient produire. On peut ranger dans ce nombre la création du grand canal. Le site où il a été pratiqué étoit un vaste marais : déjà, par des essais infructueux, on avoit tenté un dessèchement qui devoit coûter des sommes énormes, et dont le succès étoit douteux, Le Nôtre, au lieu de chercher à détourner les eaux de ces terres basses, où elles n’avoient aucune issue naturelle, fut les réunir, et forma le vaste canal, qui est un des plus beaux ornemens de ces jardins célèbres, dans lesquels le génie de la magnificence eut à lutter contre l’ingratitude de la position du sol et de ses aspects.