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met. D'ailleurs, d'un regard, il peut rappeller l'intérêt qu'il a volontairement soustrait à sa vue & renouer le fil qu'il a rompu. Celui qui regarde un tableau dispose donc, en quelque sorte, des accessoires en s'en occupant plus ou moins à son gré ; tandis que le Poëte fait dans ses récits ou dans ses Drames, la loi au spectateur ou au lecteur, en fixant leur attention sur les objets principaux, ou en la détournant aussi long-temps qu'il lui plaît sur les accessoires.

Pour revenir au terme dont il s'agit & le regarder uniquement à l'égard du Peintre, les accessoires dans un tableau doivent intéresser par un choix de détails qui ont pû accompagner une action, ou qui l'ont dû, & sur-tout le moment de cette action, auquel l'Artiste s'est attaché ; mais il doit contenir les accessoires dans une telle subordination de ton, de lumière & d'effet, que l'action, représentée d'ailleurs avec la vérité & l'énergie qui lui conviennent, rappelle sans cesse les regards & l'attention des Spectateurs.

ACCIDENT, ACCIDENS, (subst. masc.) Les objets ne peuvent être apperçus qui avec le secours de la lumière. Les effets que la lumière produit le plus ordinairement à nos yeux ne causent point de surprise, parce que les regards y sont accoutumés. Mais si, par quelques dispositions ou quelques circonstances imprévues, la lumière lance des rayons plus éclatans qu'à l'ordinaire, si ces rayons forment, en contrastant avec l'ombre, des oppositions marquées, les effets qu'ils produisent frappent sur-tout les Artistes, qui ne manquent guère de les observer, & ils les nomment accidens de lumiére. Ainsi l'on dit d'un tableau, où ces effets sont bien rendus, que le Peintre y a représenté d'heureux accidens de lumière, des accidens de lumière très-piquans.

C'est le hasard qui produit dans la nature ces effets ; c'est un dessein prémédité qui fait supposer aux Artistes ingénieux les circonstances & les dispositions de lieux & d'objets qui peuvent les occasionner.

Les hommes ont un penchant général pour ce qui interrompt l'uniformité. Ils ont un desir ou même une sorte de besoin de sensations nouvelles, qui les fassent jouir de leur existence d'une maniere plus sentie. C'est d'après ces motifs secrets que les Artistes combinent dans leurs ouvrages des effets extraordinaires, & que ceux aux yeux desquels ils sont exposés les considèrent & s'y attachent avec un attrait marqué.

Les premiers espèrent donner à leurs ouvrages une distinction qui doit les faire remarquer plus particulièrement, & le succès en effet répond à l'intention. On voit même quo souvent la représentation d'un effet extraordinaire, l'emporte sur une imitation juste, qui n'a rien que de naturel ; car ce qui est simplement bien, sans être singu-


lier, a des droits généralement moins puissans sur nous que ce qui est extraordinaire.

Les oppositions dans le clair-obscur, dont Rimbrand a souvent fait la base de ses effets pittoresques, sont, pour un grand nombre de spectateurs, la cause principale de leur attention & de leur admiration. Ils cèdent avec plaisir à une sorte de surprise qu'éprouvent leurs regards, & n'étant pas assez instruits pour apprécier les parties qui concourent à la perfection d'un tableau, ils ne sentent pas ce qui fonde plus solidement la réputation de cet Artiste.

Le Carravagge, cherchant à l'emporter sur ses concurrens, ou entrainé par son penchant, employa des dispositions de lumière qui formoient dans ses ouvrages, des accidens de jours & d' ombres plus remarquables que les effets auxquels on est accoutumé. Un grand nombre de ses Contemporains furent séduits. Le Guide, par des representations dans lesquelles les effets étoient plus conformes à ce que présente ordinairement la nature, eut de la peine à l'emporter.

Ces réflexions, qui ne sont point une désapprobation de l'emploi des beaux accidens, ont pour but de modérer seulement un penchant assez commun qui entraîne les jeunes Artistes à prodiguer ces moyens, sur lesquels ils fondent des succès, souvent trompeurs ; car la singularité perd une partie du mérite qui lui est propre, en raison de ce qu'elle est plus souvent mise en usage. Elle ne peut dédommager des parties essentielles de l'Art, si ces parties sont négligées. D'ailleurs, lorsque les hommes ont prodigué par surprise des louanges souvent exagérées, ils reviennent sur leur jugement & se dédommagent tôt ou tard avec usure des avances qu'ils ont faites.

Mais arrêtons-nous aux accidens, & traçons-en quelques-uns, pour rendre ce que j'ai dit, plus sensible à ceux qui ne sont pas très-versés dans la Peinture.

Les voûtes d'une caverne peuvent être entr'ouvertes ; le Soleil y darder quelques rayons, dont l'éclat contraste avec l'ombre épaisse. Cette opposition, cette circonstance, cet accident frappe & attache les regards ; mais si d'ailleurs les reflets nuancés de la lumière qui s'étendent dans l'obscurité, font entrevoir dans l'enfoncement de la caverne deux amans, surpris par l'effet de cette lueur inattendue, comme Mars & Vénus par Apollon ; ce double accident fixera les regards & l'esprit sur l'imitation qu'en aura fait un habile Artiste.

Dans un bois, où des arbres épais voilent le trop grand éclat du jour, si le Soleil s'introduit à travers le sommet des feuillages ; il colore à l'instant tout ce qui s'offroit en demi-teinte. Il produit dans l'éloignement quelques effets subordonnés qui appellent cependant les regards, & qui désignent l'étendue & l'enfoncement de la forêt ; enfin quelques éclats de sa lumière la plus