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EAU-FORTE, (subst. fém.) terme de gravure. Le mot eau-forte se prend en deux sens différens il signifie, dans le premier sens, une liqueur acide qui ronge l’airain. Il y en a de deux sortes ; l’eau-forte de départ, & l’eau-forte à couler : l’artiste en fait usage pour rendre profondes & solides les tailles qu’il a tracées sur un vernis dont il a commencé par couvrir son cuivre. Cette opération appartient à la pratique.

L’eau-forte, dans un autre sens, se prend pour l’estampe qui est le produit du travail que l’artiste a tracé sur le vernis, & qu’il a fait creuser par l’eau-forte. C’est dans ce sens que l’on dit : « les eaux-fortes de Labelle sont pleines d’esprit. Les eaux-fortes des peintres sont quelquefois plus recherchées que les plus belles estampes des graveurs. »

Ceux qui ont quelque connoissance des procédés de la gravure au burin & de celle à l’eau-forte, ou qui prendront la peine de se procurer cette connoissance dans le dictionaire pratique, sentiront combien la gravure à l’eau-forte doit l’emporter par l’esprit, le goût & la liberté. Le burin est un outil résistant, qui est poussé par la force du poignet, au lieu d’être conduit par l’agilité de, doigts, & qui ne procède que par des lignes droites ou circulaires. La pointe dont on se sert pour graver à l’eau-forte se tient avec les doigts comme une plume ou un crayon & se prête à tous les mouvemens que les doigts veulent lui imprimer. Tantôt on la conduit avec fermeté, tantôt on la fait badiner sur le vernis ; elle se prête à tous les travaux capricieux qu’on lui prescrit de tracer. Comparée au crayon, elle a le désavantagc de la résistance que lui oppose le cuivre qu’elle doit entamer plus ou moins légèrement ; mais elle a l’avantage de produire au besoin des travaux bien plus subtils. Si les tailles qu’elle trace ont par elles-mêmes plus de maigreur & de sécheresse que les hachures faites au crayon, c’est un inconvénient que l’intelligence & le goût de l’artiste font aisément disparoître, & dont il tire même des agrémens particuliers à son art.

Les eaux-fortes, prises dans l’acception où elles signifient des estampes produites par des travaux dessinés à la pointe & creusés par l’eau-forte, sont de deux espèces. Les unes sont destinées par l’artiste à demeurer telles qu’elles sont ; les eaux-fortes des peintres sont en général de cette classe. Les autres sont seulement les ébauches d’estampes qui doivent être en-


suite terminées au burin ; telles sont, en général, les eaux-fortes des graveurs.

On sent que, par leur différente destination, elles exigent des travaux d’espèce différente. Le peintre ne se proposant pas de revenir sur son ouvrage, doit y établir tous les travaux nécessaires pour produire l’effet qu’il a dans la pensée. Le graveur qui travaillera de nouveau son cuivre, n’y établit que les premiers travaux, & les laisse bien loin de l’effet que produira sa planche terminée. L’eau-forte du peintre peut donc avoir un effet très-piquant ; celle du graveur n’a d’ordinaire qu’un effet grisâtre, fade & blafard. Le peintre, n’ayant pas dessein de repasser sur les opérations de sa pointe avec un instrument plus inflexible, se permet tous les travaux que son goût lui inspire, il fait jouer à son gré sur le vernis une pointe libertine, il épargne, il mêlange, il prodigue les travaux : il en établit qu’il prévoit bien qui seront confondus & crévés par l’eau-forte, & se promet d’avance, de ces accidens, des effets piquant & pittoresques. Cette heureuse audace est interdite au graveur : en opérant avec la pointe, il est occupé des opérations qu’il doit faire dans la suite avec le burin ; il ne permet guère à sa pointe de tracer un chemin que son burin ne pourra suivre ; on sent qu’il n’use de sa liberté actuelle qu’avec le sentiment de son esclavage futur. L’eau-forte du peintre sera donc libre, ragoûtante, spirituelle ; l’eau-forte du graveur sera froide, servile & peinée.

Ce que nous venons de dire ne doit pas être pris trop généralement. Il y a des eaux-fortes de peintres qui ont peu de mérite, même dans la partie du dessin, parce que ces peintres, peu accoutumés à manier la pointe, & gênés par la résistance du cuivre, n’ont pu établir leur trait avec la même sûreté qu’ils l’auroient fait au crayon ou au pinceau. Il y a des eaux-fortes de graveurs qui offrent des travaux libres & pittoresques, parce qu’ils ont fort avancé, & quelquefois même achevé à la pointe les parties dont elle s’acquitte mieux que le burin. Corneille Wischer a quelquefois montré, dans la même estampe, ce que la pointe peut produire de plus brut, avec ce que le burin peut produire de plus brillant.

Il y a des estampes très-avancées & même presqu’entièrement terminées à l’eau-forte qui sont très-estimées, parce qu’elles rendent bien à plusieurs égards les tableaux du maître